Si ces dernières années l'ont vu enfanter de nombreux albums, avec Onus ("Prolambanomenos"), Karjalan Sissit ("... Want You Dead") ou Sophia ("Unclean"), Peter Bjärgö s'est en revanche montré plus discret sous son propre nom, sa dernière échappée en solitaire remontant à 2011 et "The Architecture Of Melancholy". On ne peut que regretter cette trop longue absence tant ses rares aventures individuelles sont pour lui l'occasion d'arpenter des territoires plus intim(ist)es et contemplatifs, source immense et secrète d'une beauté pulsative.
C'est la raison pour laquelle la sortie de "Animus Retinentia" est un événement. Comme son visuel blafard, réalisé par son épouse Cecilia, le laisse deviner, le Suédois n'a pas déserté l'humus mélancolique dans lequel il puise depuis toujours sa sève. Au contraire même, car ce troisième opus en solo n'est pas seulement une de ses œuvres les plus belles mais surtout une des plus douloureuses, création engluée dans une encre brumeuse et pourtant pointilliste voire presque désincarnée dans ses moments les plus trippants.
Si de loin, l'album semble vierge de surprise tant la signature du maître des musiques sombres se révèle toujours aussi identifiable qu'indélébile, de près la réalité se veut plus nuancée, à l'image de ce menu épuré qui trempe dans un pastel aux teintes funéraires. De fait, loin de la resucée redoutée aussi réussie soit-elle, "Animus Retinentia" possède sa propre identité, qui se niche sans doute dans cette dimension instrumentale et immersive, reléguant le chant de notre hôte dans un rôle secondaire, avalé par le brouillard spectral qui enveloppe cet ensemble (trop) court.
Et au final, plus que les quelques compositions que drape la voix profonde de Peter, au demeurant superbes, telles que les classiques 'You Let The Light Shine Through', 'Transcended Time' ou le percussif 'Where Light Is Eternal', ce sont les plaintes où son timbre ténébreux ne résonne pas qui hantent le plus notre mémoire, témoins le squelettique 'Stillhet' et son piano funèbre, 'Grains', lumineux et fragile ou bien encore le poignant 'As Rain Falls' à partir duquel le disque s'enfonce dans une tristesse absolue sans aucun espoir de retour. Le diptyque 'Memories', endeuillé par une mélancolie sourde, et surtout le terminal 'Sleep Dep. Loop 2', piste électronique qui répète le même motif hypnotique et désolé durant dix minutes d'une décrépitude infinie qui confine au recueillement introspectif, entraînent ainsi l'opus dans un voyage sans retour dans les limbes...
Fantomatique et automnale, "Animus Retinentia" est une œuvre d'une noblesse monacale.