Trois ans après le monument que représente "…All That Might Have Been…", le marathonien de l’art rock nous revient avec son trente-cinquième (!) album studio personnel, sans compter ceux issus de ses différentes collaborations avec d’autres artistes et ceux enregistrés avec son groupe, Van der Graaf Generator.
Décidément infatigable, que nous réserve cette fois-ci notre prolifique et insaisissable poète ? Après avoir régulièrement surpris sa fan-base, quitte à la décevoir parfois, Peter Hammill semblait être aspiré par un vortex de plus en plus expérimental et atmosphérique depuis "Thin Air" (2009). Mélodies impalpables et spectre dissonant constituaient désormais le pain quotidien dont mangeraient les adeptes du chanteur anglais. Certes, le mets était raffiné mais parfois difficile à apprécier.
Et s’il fallait de (très) nombreuses écoutes pour habituer son oreille au contenu de "…All That Might Have Been…", même pour le thuriféraire le plus aguerri, "From The Trees" semblera on ne peut plus familier dès la première fois à toute personne s’étant un tant soit peu intéressé à la carrière de Peter Hammill. Les titres, au format très classique de chansons couplets-refrain, sont autant de madeleines de Proust parcourant les trente dernières années de la discographie hammillienne, évoquant tour à tour "The Future Now" ou "Ph7" (‘My Unintended’), "Fireships" (‘Reputation’, ‘What Lies Ahead’, ‘The Descent’), "Everyone You Hold" et "None of the Above" (‘Anagnorisis’), "Out of Water" et "Clutch" (‘Torpor’, ‘Milked’), et même "The House of Usher" au travers des chœurs inquiétants de ‘On Deaf Ears’.
L’amateur est donc en terrain connu, un terrain fertile et de très grande qualité. Toujours seul face à son public, Hammill s’accompagne tantôt de ses guitares, accords plaqués ou arpégés pour l’acoustique et quelques notes sporadiques pour l’électrique, tantôt de ses claviers, piano électrique ou acoustique en majeure partie, soutenus parfois d’une discrète ligne de basse. Ni batterie, ni percussions. Le chant est, comme toujours, aussi original qu’impeccable, sans artifice, la voix lead dégage une émotion et une mélancolie poignantes et s’enrichit des inévitables chœurs, parfois fantomatiques (‘What Lies Ahead’), dédoublements de voix à la tierce ou à l’unisson et autres réponses (‘On Deaf Ears’), signature oh combien originale et reconnaissable entre mille d’Hammill.
Le ton est plutôt à la mélancolie mais sans langueur, sans évanescence et, pour les plus sensibles de nos lecteurs, sans dissonance ni aucune velléité expérimentale. Peter Hammill aligne dix petites perles délicates et raffinées, romantiques (la valse triste de ‘Reputation’, ‘What Lies Ahead’, ‘Milked’) ou plus dynamiques (‘My Unintended’, ‘Girl to the North Country’), toujours intenses. Un Peter Hammill abordable comme il ne l’avait pas été depuis "Singularity" (c'est quand même du Peter Hammill, les connaisseurs comprendront) mais d’une inspiration de la qualité de celle qui avait enfanté un "Everyone You Hold" ou un "None of the Above".
L’admirateur de cet artiste hors du commun aura l’impression d’enfiler des charentaises bien douillettes à l’écoute de ce "From The Trees" qui, s’il ne lui réserve aucune surprise, s’avère d’une excellente cuvée. Quant au profane, il trouvera là une porte d’entrée accessible pour peu qu’il soit doté d’un minimum d’ouverture d’esprit et qu’il cherche un artiste sortant de la monotonie des sentiers battus par la majorité. Peter Hammill ressemble à l’arbre de la pochette intérieure : un peu déplumé par l’âge mais à la fois majestueux et quelque peu inquiétant. Impressionnant.