Que reste-t-il presque trente ans plus tard de toute cette génération de groupes venus du nouveau continent qui, à partir de la fin des années 80, ont repoussé les limites de l'audible, dernière étape avant que l'Homme ne se transforme en bête ? Peu de choses finalement. Death est mort avec son génial créateur, Chuck Schuldiner, Morbid Angel n'est plus que l'ombre de lui-même et Deicide ne fait plus peur à personne depuis bien longtemps.
On peut cependant toujours compter sur Cannibal Corpse pour assouvir notre soif de gros death metal qui tache, même s'il a considérablement ralenti la cadence, ne régurgitant désormais un nouvel album que tous les trois ou quatre ans. Reconnaissons également que ni "Evisceration Plague" ni "Torture" et encore moins "A Skeletal Domain" n'ont su creuser de profondes cicatrices dans la mémoire, saillies au demeurant hyper efficaces, à même de déclencher de furieux mosh pits dans les fosses du monde entier.
Nous en étions donc là, avec la bande de l'inoxydable bassiste Alex Webster, seul membre historique avec le batteur Paul Mazurkiewicz, jusqu'à ce que déboule 'Code Of The Slashers', premier extrait de "Red Before Black". Livré avec un clip digne d'une bonne vieille série Z, avec plein de zombies dedans, ce titre alterne modelés robustes et brutales éruptions de pus, nous laissant imaginer que les Américains ont absorbé de l'EPO par boîte de douze. Apparemment peu pressés de s'enfermer dans une maison de retraite, ces derniers affolent les compteurs Geiger en dégueulant un de leurs titres les plus jubilatoires entendus depuis des lustres, destiné à devenir un indispensable de leurs concerts.
Résultat d'une puissance de frappe égale à celle de gamins vigoureux conjuguée à un savoir-faire éprouvé, le reste est taillé dans le même boyau, qui martèle un metal de la mort d'une énergie testiculeuse mais dont le cuir de la peau, avec l'âge, s'est épaissi et de laquelle se détachent de lourds lambeaux jonchant le sol comme un automne sanguinolent, ce qu'illustre un 'Remained' que lacèrent de lourds crochets aux allures d'excavatrices. Loin de s'être assagi avec le temps, le quintet de Buffalo est à l'unisson d'une brutalité caverneuse – mention spéciale d'ailleurs à George "Corpsegrinder" Fisher et ses rocailleuses gorges profondes - qui rend ses agressions certes moins radicales, plus mélodiques peut-être (pour des oreilles habituées s'entend !) mais certainement pas moins meurtrières.
Il suffit de se prendre en pleine face des uppercuts de l'acabit de 'Red Before Black', 'Scavenger Consuming Death' ou 'Only One Will Die' qui moissonnent un champ de cadavres pour constater que Cannibal Corpse, plus que jamais saigneur du phrasé sismique, demeure toujours une redoutable machine de guerre que rien ne vient jamais enrayer. Construites sur une stratigraphie serrée, ces compos d'une compacte densité ont quelque chose de chars d'assaut qui font trembler le sol ('Firestorm Vengeance'), lancés à vive allure mais embourbés au fond d'un charnier.
Affichant une forme insolente, le dinosaure du death metal prouve avec "Red Before Black" qu'il peut encore nous surprendre, crachant son effort le plus heavy depuis quinze ans !