Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. La Suisse en ce temps-là possédait un groupe de neo prog qui a réussi l’exploit de magnifier un style qui cherchait à se renouveler. Deux albums, dont un qui est à juste titre qualifié par une grande majorité de chroniqueurs et auditeurs de chef-d’œuvre ("Vae Victis"), et puis s’en va, usé par la fatigue et la vague émotionnelle qui ont suivi cet album. Le vertige de la suite à donner à cet album associé à la volonté de chacun de construire sa propre vie ont eu raison (provisoirement) du groupe. Il aura fallu attendre près de 23 ans pour voir le retour au premier plan de Galaad ! 276 mois d’absence frustrante pour les aficionados, entre silence pesant, folles rumeurs de retour et de tentatives avortées de renaissance.
Pour autant, certains des membres du groupe ne sont pas restés inactifs durant cette période notamment Pierre-Yves Theurillat qui, par l’intermédiaire de l’Escouade ("Confidences de Mouche") et en solitaire ("Carnet d’un Visage de Pluie" et "Mon Grand Amer"), a réalisé de magnifiques albums intimes et personnels. Ces occasions ont pu être aussi vécues comme un appel du pied à ses anciens compagnons de route pour faire revivre le groupe d’autant que pour ses albums solo, Sébastien Froidevaux, guitariste de feu Galaad, l’a épaulé de toute sa qualité mélodique indéniable. A force de conviction et de cœur, tels deux silex qui s’entrechoquent, l’étincelle provoquée par ces projets a fini par rallumer la flamme pas complètement éteinte du combo helvétique afin de forger ce nouvel album tant attendu par les fans et amateurs de neo prog qu’est "Frat3r".
Passée cette introduction qui remet en perspective l'arrivée de cette production, nous voilà au bord du précipice pour aborder et décrire ce nouveau disque. Évoquer cet album en le comparant avec le précédent ne saurait guider ces lignes même si le point commun entre les deux est celui de la fraternité et l’humanisme qui se dégage de ces deux albums, le côté guerrier en moins pour "Frat3r". La rage et la fougue de la jeunesse qui était présente précédemment a fait place à une vision plus philosophique et posée de ces valeurs.
La musique épouse le thème avec des phases introspectives illustrées par des longues nappes de claviers magnifiquement mises en valeur tout le long de cet album grâce à une très belle production. ‘Stone’, le morceau d’anthologie de l’album, en est le plus beau témoignage avec ce pont instrumental qui rappelle les plus éclatants mouvements génésiens comme un écho au talent de Tony Banks au meilleur de sa forme. La reprise finale agrémentée du fantastique toucher de guitare de Sébastien et du chant habité de Pierre-Yves insuffle un côté épique et dramatique à donner le frisson.
Si le groupe a laissé de côté l'aspect spontané de ses premières années de travail, c’est pour mieux aujourd’hui structurer ses titres, démontrant ainsi que malgré cette longue absence, Galaad apparaît encore plus mélodique et soudé que jamais. 'La Machine' qui ouvre l’album happe l’auditeur avec un sample d’extrait d’un journal radiophonique qui installe la thématique inquiétante (un appel du pied à 'Welcome To The Machine' de Pink Floyd). Le titre monte en puissance jusqu'à la ferveur instrumentale finale jouissive où les soli mélodiques à la Rothery de Sébastien se taillent la part du lion. Tout au long de ce parcours musical, l’auditeur passe par le refus de l’abandon fraternel (‘Kim’) sous la forme d'une ballade profonde, l’hymne déclaration d'amour au Jura (‘Justice’) ou la reconnaissance la plus sincère (‘Merci puR’) dans lequel Galaad ose des thèmes indiens qui prouvent son ouverture au monde.
Dans tous les titres, chaque instrument dispose d’un espace d’expression équilibré qui inclut le chant plus éraillé et vieilli de Pierre-Yves qui, s’il n’a plus la même vista qu’auparavant, gagne en expressivité, mettant en relief et en valeur des paroles qui n’ont rien perdu de leur superbe et de leur poésie, rappelant ainsi la finesse de Malicorne (Gabriel Yacoub). Il est également impossible de résister au plaisir d'entendre la basse ronronnante de Gérard notamment dans 'Encore !' ou cette rythmique précise et variée ('Justice').
Galaad revient sur le devant de la scène qu’il n’aurait jamais dû quitter. S'il est encore trop tôt pour mesurer l’impact de cet album sur la discographie du groupe, "Frat3r" est indéniablement un album touchant et d’une immense qualité qui illustre la devise : « tous pour un et un pour tous ! » tant le poids des ans n’a pas entamé l'esprit de corps du combo jurassien. Espérons qu’il soit la nouvelle première pierre d'un édifice plus grand encore à venir et qu’il ne faille pas attendre autant d’années pour nous délecter d’un quatrième album.