Frémissement en Arenaland avec la sortie du neuvième album solo des Anglais : vingt années après le mythique "Visitor", intégralement rejoué lors de la tournée 2018, "Double Vision" reconduit le même (excellent) line-up que dans l’opus précédent. Après les six années de pause qui ont suivi "Pepper’s Ghost", puis la reprise avec le mitigé "Seventh Degree...", heureusement rattrapé par l’excellent "Unquiet Sky", quelle voie pourrait bien emprunter le dernier-né, telle est la question que se posent les fans angoissés...
La lecture de la pochette rassure les inquiets : les cinq membres se sont impliqués dans les compositions, Clive Nolan signant tous les textes selon une habitude à présent bien ancrée chez Arena. Six titres d’une durée moyenne - entre 4 et 6 minutes - et pour finir (Clive l’avait promis, il l’a fait) un bon gros epic de plus de 22 minutes, soit le morceau le plus long jamais proposé par le groupe : on en salive d’avance.
Tout au long de ce "Double Vision", les marqueurs Arena sont bien présents : les ambiances tout d’abord, sombres, menaçantes, «intranquilles» comme l’indiquait le titre du dernier album, soulignées par d’excellentes lignes de basse et la frappe appuyée de Mick Pointer qui s’essaie de plus en plus à la double pédale (‘Red Eyes’). Certains titres envoient une puissance rarement déployée par le groupe (l’entame de ‘The Mirror Lies’), en revanche la guitare acoustique prend une part qu’on ne lui avait que peu vue (‘Poisoned’, ou l’excellente fin en contraste du même ‘Mirror’). Les six premiers morceaux confirment une orientation mélodique qui s’épanouit dans les parties vocales : avec Paul Manzi, Arena a trouvé une signature vocale puissante qui a pris un gros ascendant, parfois avec des accents pop un peu incongrus (quelques « woho-wo » sur les refrains), parfois un peu trop en force (‘Poisoned’), mais avec une belle amplitude. Les claviers de Clive apportent comme d’habitude toute la profondeur nécessaire, avec de jolis sons qui sonnent très Richard Wright sur le particulièrement réussi ‘The Mirror Lies’, et même un kif façon grandes orgues (‘Omens’). Reste que ces six premiers titres relèvent plus d’un savoir-faire éprouvé que d’une mise en danger pour Arena (‘Paradise of Thieves’, efficace mais conventionnel).
Avec ‘The Legend of Eliah Shade’, le groupe change de braquet. Les sept parties de cet epic apparaissent comme un jeu de piste, bourrées de références aux opus précédents du combo, et notamment au "Visitor", vingtième anniversaire oblige (à cet égard, les fans auront remarqué que le titre de l’album fait référence à un morceau du "Visitor"). Rien d’étonnant quand on connaît le goût de Clive pour les énigmes et les messages cachés... Entamé sur un rythme lent en trois temps comme ‘Solomon’, s’achevant sur la même note que ‘The Visitor’, avec les mêmes paroles («I will always find you»), enrichi d’une judicieuse reprise de thème dans ‘Tenebrae’, cette ‘Legend’, un poil moins brillamment composée que ‘Moviedrome’ qui reste un modèle du genre, enchaîne tout de même avec brio ses sept parties sans aucun temps mort, avec des arrangements variés mis en valeur par une production impeccable. Mention particulière à ‘Omens’ qui permet à Clive de développer une excellente section instrumentale bien dynamique dominée par des claviers impériaux.
"Double Vision", sans gros défaut, ne déparera pas dans la discographie d’Arena. Il peut apparaître comme un compromis entre la puissance réclamée par Mick Pointer, les thèmes vocaux accessibles délivrés par Paul Manzi et les ambiances soignées orchestrées par Clive Nolan. Toutefois, John Mitchell en soliste est un peu l’oublié de cette livraison : profitez bien de ‘Scars’ qu’il illumine de toute sa classe, faisant vivre chaque note de son solo. Avec la fin de ‘Redemption’, scandaleusement écourtée par un fade-out rapide, c’est la seule occasion que nous avons de profiter de ses époustouflantes interventions électriques. Il est quand même dommage de restreindre son apport, énorme plus-value émotionnelle quand il œuvre à la six-cordes électrique...