L'obscurité gagne, changeant en noir la puissante beauté des sourires enfantins et peuplant l'espace intersidéral d'émotions violentes. Peu à peu la matière noire enfante la matière grise, la vitesse de l'obscurité gagne sur celle de la lumière et la fusion de laves bouillonnantes engendre une glauque et épaisse matière de laquelle naît Gravity.
En équilibre entre les genres et les rythmiques chaloupées, Gravity construit un metal(core) qui touche les sens et l'âme et qui fusionne la violence étouffante du death poisseux, la complexité rythmique du djent et l'immédiateté furieuse du metalcore, arpentant des territoires inhabités vierges de toute vibration tellurique. La formation, emmenée par une chanteuse aux vociférations démoniaques, présente sa nouvelle rondelle, "Noir", une œuvre opaque et lourde, parfois étrange, parfois sereine ou enivrante.
L'opus s'ouvre sur l'aiguille d'un phonographe qui grattouille les enceintes et une musique des années folles ('Ouverture'), puis c'est une plongée dans l'onde poisseuse ('Noir'). Le chant en français résonne à peine que la guitare tisse déjà une toile syncopée folle et que le synthétiseur glacial égrène des notes de cristal stridentes. Puis, la batterie laboure l'espace sonore, la guitare écrase les auditeurs sous ses coups de boutoir puissants. Mais malgré cette puissance et cette violence constante, nombre de passages aériens et mélodiques parsèment l'ouvrage pour lui apporter un supplément d'humanité.
Ensuite, 'Le Premier Éclat' débute par une série d'accords amples sur lesquels la rythmique brutale reprend vite le dessus et impose une patte djent. Les vocalises sont expulsées comme une plainte souveraine, mue par le désir de puissance viscéral de la frontwoman. Encore une fois, dans ce magma sonore subsistent des instants hors du temps, lorsque seuls surnagent quelques accords de synthétiseur froids.
La suite 'Noctifier' navigue sur des montagnes russes gorgées de rythmiques vivaces, d'instants aériens et de chant clair bourré d'émotions et magnifié par des textes aux couleurs fantastiques. Au milieu de rythmes infernaux et de cris primaires coulent un piano cristallin et des guitares en équilibre entre Géhenne et Eden : un chemin de traverse qui touche parfois au sublime, ou parfois plus âpre et difficile d'accès.
"Noir" est une pépite assez éloignée d'un metalcore bas de plafond, car elle pioche de partout pour enfanter un style très personnel. Il faut donc l'écouter d'urgence, comme une bonne claque aux fâcheux pour lesquels cette musique n'est que violence et bruits accumulés, car au-delà de son habillage musclé, violent et teigneux, l'album est intelligent, varié, moderne, âpre, sombre, glauque, opaque, lumineux, et quelque soient ses couleurs, cette nuit conduit inexorablement à une extase intemporelle.