En trois albums et un live, les Norvégiens de Major Parkinson ont acquis le statut de groupe à la forte personnalité dont chaque nouvelle livraison entretient la surprise en laissant présager des changements d'orientation et des évolutions. Après des débuts dans une veine plutôt art-pop progressive et avant-gardiste, "Blackbox" laisse supposer une métamorphose dans l'écriture collégiale de Major Parkinson après le remaniement de la moitié de son effectif à la suite de la sortie de "Live At Ricks".
À l'instar de nombre de leurs compatriotes, les Norvégiens de Major Parkinson cultivent l'art du renouvellement dans la continuité. Ce "Blackbox", au nom révélateur d’une noirceur déjà ponctuellement décelable chez Major Parkinson, est fidèle à la créativité protéiforme, hasardeuse à circonscrire, de ses géniteurs en mettant en jeu la musique folklorique européenne, le rock progressif et une forte propension à la théâtralité. Major Parkinson façonne ses riches ambiances à grand renfort de textures électroniques dont la densité est allégée par la subtile utilisation d’instrumentations plus organiques (pianos, violons et violoncelles, tuba, saxophone, trombone, trompette, xylophone, cor et chœurs de dix voix féminines).
"Blackbox" est comme découpé en quatre parties thématiques séparées par trois interludes rendant son écoute plus abordable. Les deux premiers morceaux de l'album, 'Lover, Lower Me Down!' et 'Night Hitcher', déversent leur matière space-pop matinée de new-wave romantique et envoûtante dont l'association des murmures caverneux de Jon Ivar Kollbotn et de la voix de velours de Linn Frøkedal, éblouissante d'onirisme dans toutes ses prestations, fait déjà des miracles. Bien encadré par le piano-voix ténébreux de 'Before The Helmets' et l'intrigant instrumental 'Scenes from Edison's Black', l'épique 'Isabel-A Report to an Academy' déroule la bande-son progressive d'un scénario fantastique aux multiples bizarreries et pesanteurs. On entendra la même charge de complexité harmonique dans l'époustouflant 'Baseball' avec une tonalité plus lumineuse et un retour en force de la théâtralité.
Quelques étoiles scintillantes percent la nuit infinie de "Blackbox" à travers les refrains féminins éthérés et les sympathiques xylophones de 'Madeleine Crumbles', parfaitement contrastées par les couplets aux ténèbres éprouvantes. La fin du disque retrouve cette latente gravité qui traverse le disque et lui donne sa polarité majeure avec le dépressif 'Strawberry Suicide' et 'Blackbox' sous forme d'une messe gothique célébrée par un big band jazz au langage mystique et à la fureur contenue. Major Parkinson a accouché d'une œuvre cohérente jusque dans les textes des chansons, toujours aussi fouillés et hallucinés convoquant certains des plus grands génies et esprits de la modernité (Mark, Nietzsche, Heidegger, Vermeer, Hemingway...). Le sérieux après le frivole, le spectaculaire et le divertissant de "Major Parkinson" et "Songs From A Solitary Home" qui conviaient des acteurs, des personnages de fiction et des chanteurs à prendre part aux aventures surréalistes contées dans ces deux premiers disques.
Il est impossible de rester insensible confronté à une telle singularité artistique, clivante car excessive. Les enthousiastes admireront la jubilatoire créativité à l'œuvre dans "Blackbox" et se délecteront de ce sentiment d'étrangeté qui, une fois encore, bouscule les conforts et les habitudes. Peut-être encore plus charnelle avec ses atmosphères palpables qu'avec les albums précédents, cette délicieuse expérience du bizarre, que le groupe cultive avec autant de soin que son originalité à mettre en contact des éléments harmoniques atypiques, déconcerte. Pour autant Major Parkinson ne procède pas d'une démarche élitiste ni ne méprise son auditoire car toujours guidé par une vraie recherche mélodique à la portée de tous sans pour autant en brader la qualité. Pour les esprits assez ouverts pour accueillir cette œuvre, "Blackbox" s'avère un trésor des plus captivants.