Confirmant la débandade matérialisée par un "Win, Lose Or Draw" (1975) indigne des légendes de Macon, Géorgie, le Allman Brothers Band s’était séparé en 1976. C’est Dickey Betts qui lance le projet de reformation en 1978, essuyant au passage les refus de Chuck Leavell et de Lamar Williams soi-disant trop occupés par leur nouveau projet, Sea Level. Le résultat discographique de cette réunion voit le jour en 1979 sous la forme d’un "Enlightened Rogues" au titre inspiré par une citation de Duane Allman et produit par un Tom Dowd enfin de retour. Dans une ambiance apaisée, voire aseptisée selon certains, le nouvel opus confirme la prise de pouvoir de Betts qui compose la quasi-totalité des titres, assure le chant sur certains d’entre eux et amène avec lui le guitariste Dan Toler et le bassiste David Goldflies, membres de Great Southern, le groupe qu’il a formé après le split de 1976.
Face à un public dubitatif et anxieux suite au naufrage post "Brothers And Sisters", "Enlightened Rogues" aurait pu être un bon album du Allman Brothers Band. Il renferme un certain nombre de très bons titres allant du boogie-rock accrocheur ‘Can’t Take It With You’ à la cover réussie du ‘Blind Love’ de BB King magnifiée par le chant hyper accrocheur et un magnifique solo de Gregg Allman. Ce dernier réussit également à porter la ballade ‘Need Your Love So Bad’ pourtant très classique, grâce à son interprétation vocale gorgée de feeling. De son côté, le rock enlevé de l’introductif ‘Crazy Love’ se fait également très catchy et voit Bonnie Bramlett venir prêter main forte à Dickey Betts dont le chant souffre de la comparaison avec celui du claviériste.
Voilà de quoi faire un bon album, mais c’est sans compter sur deux titres qui font passer ce "Enlightened Rogues" dans la catégorie des excellents opus du groupe, même s’il ne réussit pas à se hisser à la hauteur de ses légendaires premières œuvres. Il y a tout d’abord l’instrumental ‘Pegasus’ qui trône fièrement aux côtés des meilleurs exercices du genre du sextet. Dépassant allègrement les 7 minutes, il bénéficie d’un thème récurrent et accrocheur, voit les guitares se compléter, se croiser ou se succéder dans des soli qu’elles partagent avec des claviers flamboyants et des percussions toujours aussi imparables. Et puis juste avant un ‘Sail Away’ délicat mais un peu trop gentillet, il y a la seule composition de Gregg Allman pour cet album : un ‘Just Ain’t Easy’ gorgé de mélancolie et inspiré par les difficultés traversées par son auteur. Celui-ci prouve à nouveau à quel point il est un chanteur capable de transmettre des émotions avec ce délicat équilibre entre force et délicatesse.
Malgré deux titres un peu plus faibles (‘Try It One More Time’ et ‘Sail Away’) et le chant d’un Dicket Betts qui peine à se confronter à celui de Gregg Allman, "Enlightened Rogues" marque cependant un retour réussi pour le Allman Brothers Band. Certes, il gagnerait sûrement à voir les forces s’équilibrer entre les influences de chaque membre du groupe, ce qui faisait la force de ce dernier à ses débuts, mais il n’en est pas moins un beau témoignage d’une résurrection en laquelle peu osaient espérer.