Elton John aime jouer avec les nerfs de son public. Après avoir annoncé sur scène qu’il mettait fin à sa carrière, il dément cette information en revenant avec son trente-deuxième album studio sous le bras. Après un disque en duo avec Leon Russell et un autre très orienté piano, ce nouvel opus renoue avec la tradition de voir le chanteur officier avec son groupe de scène. La présence de celui-ci, la pochette très colorée au centre de laquelle trône un Elton John hilare et le titre, "Wonderful Crazy Night", annoncent un album moins intimiste que son prédécesseur.
Et l’écoute ne vient pas démentir ce que les signes extérieurs laissaient présager. Si "The Diving Board" était feutré et mélancolique, "Wonderful Crazy Night" se veut bien plus dynamique et enjoué, à l’image de son titre éponyme qui ouvre le bal d’un rock mid-tempo décontracté et popisant ou de son frère jumeau, le sautillant ‘Guilty Pleasure’. Ce n’est pas non plus un hasard si le choix comme premier single s’est porté sur ‘Looking Up’, un rock’n’roll particulièrement basique n’ayant d’autre ambition que de faire danser.
Malheureusement, il semble bien qu’Elton John ait été rattrapé par son âge. Tout cela swingue mou et sent l’artiste fatigué, à la peine pour faire preuve de l’entrain nécessaire à insuffler un dynamisme suffisant à ces titres. Du coup le soufflé retombe et ce qui aurait dû être des chansons entraînantes n’est plus qu'une succession peu enthousiasmante de titres quelconques.
Par ailleurs, il est parfois difficile de reconnaître la voix du chanteur (‘Claw Hammer’, ‘Blue Wonderful’, ‘I've Got Two Wings’). Elton John s’avère incapable de monter dans les aigus et se cantonne dans un registre medium grave, semblant gêné pour chanter, comme si ses bronches étaient encombrées. Le timbre est devenu nasal et l’artiste manque visiblement de coffre et de souffle, usant de ficelles communes aux artistes vieillissants (écoutez les derniers Hallyday ou Sardou pour vous en convaincre), comme chanter des phrases courtes pour éviter de devoir tenir la note ou aboyer quelques mots pour masquer l’absence de puissance.
Déjà sensible sur "The Union", cette défaillance avait été astucieusement dissimulée sur "The Diving Board" où le format "ballades mélancoliques" ne nécessitait que peu de débauche d’énergie. En essayant de revenir à des mélodies plus enlevées, Elton John montre ses limites et c’est sur la seule ballade de l’album, ‘A Good Heart’, ou sur le folk doux de ‘Tambourine’ qu’il s’en tire le mieux et qu’on retrouve l’artiste que l’on a aimé.
Bien sûr, comme souvent avec Elton John, l’album n’est pas mauvais et l’Anglais sauve les meubles grâce à son sens de la composition, même si aucune ne brille ici de l’éclat de ses tubes du passé, et à un professionnalisme qui n’est plus à démontrer. Mais tous ceux qui se sont un peu intéressés à la carrière de cet artiste exceptionnel ne pourront qu’être attristés par un opus qui prouve que, malheureusement, même les artistes de génie vieillissent.