Après un EP de 2015 remarqué par la rédaction de Music Waves, les Parisiens de Kera font paraître leur premier album dans lequel figure un nouveau chanteur en la personne de Ryan Mc Haggis.
Fondu au noir... éclairage ténu, ambiance moite, gouttes grasses qui dégringolent de la voûte pierreuse ; les Doc Martin’s baignent dans des flaques d'eau, les gouttes résonnent et brisent un silence tendu que seuls des murmures contenus habitent. L’attente est longue, l’ambiance surchauffée : les lumières blafardes et l’air moite saturé d'odeurs âcres obligent le public à quitter doudounes et cuirs cloutés. Mais déjà les premiers échos de guitares teigneuses nous parviennent, tandis que les lumières bleues, rouges et mauves giclent et que les vociférations inhumaines de "Hyteresis" inondent l'espace sonore.
Toutefois comme pour contredire ou simplement effacer cette impression prégnante, l’opus débute presque langoureusement avec un bain sonore doux et mélodique ('Overture'). Les premières secondes égrènent un filet de notes lumineuses et lancinantes qui confirment que la formation manie également le vocabulaire bluesy. Néanmoins ce calme tout relatif débouche vite sur un titre étouffant, puissant et ravageur qui déchaîne déjà une rude tempête ('Harbinger of Doom'). Voici donc la première salve puissante et épaisse, la première attaque de titans. La cavalerie est lancée, l’artillerie lourde déployée : en tête Ryan - caméléon death - qui entonne un chant caverneux, servi par des guitares plombées et une batterie marteau-pilon qui éclate les tympans. Mais fort heureusement, à ces éructations monstrueuses s'ajoute la voix drapée de velours du guitariste soliste, pour un duo vocal qui imposera sa patte tout au long du parcours.
'Silence' construit un passage de six-cordes plein de finesse, fier héritier de Dream Theater, dans des instants qui nous poussent inévitablement à la contemplation et l'extase, happés par cet afflux de sensualité. Quant à 'Ephany of a Lunatic', même s’il débute également en douceur avec la reprise du thème d' 'Overture', il propose bien vite une guitare hallucinante qui enchaîne les cavalcades épiques et érige un mille-feuilles de mélodies.
'Sirens' débute par un gros son à la manière de '6:00', ou 'The Mirror' : épaisseur, rigueur millimétrée, métriques alambiquées, climat inquiétant proche de la folie. Mais mieux encore, cette piste est une pure démonstration de virtuosité où les idées jaillissent par paquets, où Ryan domine le titre de sa hauteur, y déploie des trésors expulsés de son gosier nourri au whisky âpre. Presque en opposition totale, le quasi angélique 'Delusion' est bercé par une guitare dépouillée qui navigue entre enfer cramoisi et paradis blanc glacé.
"Hysteresis" est un album grandiose que tout admirateur des premières productions de Kera appréciera. L’opus est une pierre angulaire de metal prog’ qui veut s'échapper de son carcan death progressif originel. En proposant un concept axé sur la persistance des chocs émotionnels, il déverse une pluie de mélodies enivrantes, alors que ses multiples reflets éclatent de mille feux, comme un diamant façonné avec application, à la beauté limpide et aux multiples facettes resplendissantes.