Un philosophe américain mais sûrement d'origine italienne avait un jour déclaré devant une assistance médusée : “PFM, c'est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber.” Après avoir tourné le dos au rock progressif dans les années 80, les Milanais étaient d'abord revenus sur la pointe des pieds dans les années 90 avant de surprendre tout leur petit monde en retrouvant un niveau comparable à celui qui était le leur dans les années 70 ("Dracula" et surtout le tout instrumental "Stati Di Immaginazione"), tout en s'autorisant quelques parenthèses (un album sur la Vierge Marie et des versions de Mozart en rock). Onze ans après son précédent et véritable album studio, une ombre se profile au tableau. Franco Mussida, le guitariste magicien, salue d'un mouchoir blanc ses camarades embarqués vers une nouvelle aventure, "Emotional Tattoos", confiant les clés à Franz Di Ciccio, qui devient ainsi le capitaine de PFM, seul membre à être présent sur tous les albums, épaulé par ses indéboulonnables seconds et son nouveau guitariste, Marco Sfogli (compagnon de route de James LaBrie).
A peine le couvercle ouvert, l'auditeur a la surprise de trouver deux albums jumeaux, un enregistré en anglais comme à la grande époque où le groupe tentait de percer sur les marchés anglais, et un autre en italien. Comme le contenu des deux disques ne diffère aucunement (la voix de Franz Di Ciccio est ensorcelante dans les deux idiomes), nous nous attacherons à la version italienne. Les questionnements écologiques et parfois alarmistes ('A Day We Share') de l'album forment l'ossature du concept de l'album. Les traiter de naïfs serait d'une part vouloir se faire aveugle au dérèglement climatique, d'autre part faire preuve de mauvaise foi, tant les concepts sacrés du rock progressif ont souvent brassé ces sujets. Curieusement, la version italienne s'écarte avec beaucoup de liberté de ce concept ('La Danza Degli' semble plus autobiographique).
Après quelques inquiétudes avant l'embarquement, l'auditeur est rassuré, PFM n'a pas perdu son mordant ni son éclectisme. Pour cette longue croisière d'une heure, il convient de saluer la richesse sonore de ce groupe jamais comme les autres. Tout est en place ! Les claviers vintage s'écoulent comme des golfes clairs ('La Cose Belle'), se faisant jazzy sur 'Big Band' ou suaves (l'introduction de 'Mayday') et ont parfois la pureté du cristal ('Oniro'). Malgré ses ronflements, la basse de Patrick Djivas est toujours aussi éveillée ('Big Band', 'La Lezione') et sa lourdeur participe à l'atmosphère orageuse de 'Il Cielo Ché Sé'. La batterie est alerte et métronomique. Le violon de Lucio Fabbri apportetoujours un peu de délicatesse aux compositions, la voix de Franz Di Ciccio est toujours aussi enjôleuse ('Il Regno', 'Mayday' assez proche de 'Miss Baker'), souvent portée par des synthés aériens ou des violons ('Il Cielo Ché sé'). Franco Mussida sest difficile à oublier, mais son remplaçant s'en sort avec les honneurs ('Oniro', 'Il Cielo Ché Sé', l’acoustique 'Le Cose Belle'), jouant dans un style assez similaire de celui de son prédécesseur, acrobatique et non dénué de délicatesse.
PFM est toujours rock et progressif, même si cette dernière dimension s'est quelque peu diluée. Si "Emotionnal Tattoos" prend comme canevas de longues ballades, jamais artificielles, sa force est de sans cesse leur apporter de la turbulence. Le groupe poursuit sa navigation loin des remous commerciaux, visant l'émotion avant tout ('La Cosa Belle'). On y retrouve des atmosphères intimistes balayées par des secousses énergiques (et vice versa). Plusieurs titres se démarquent. Claviers et guitare finissent par prendre le contrôle de 'Oniro', plus propre à l'introspection contemplative. 'La Danza Degli Specchi' joue de cette antithèse entre calme et éruption volcanique, faisant vivre ensemble acoustique et électrique, le tout épicé de claquements de mains et du violon de Lucio Fabbri (un passage fait même référence à Gentle Giant). 'Quartiere Generale' se montre beaucoup plus agité grâce à une osmose entre tous les membres en particulier les claviers et les violons saupoudrant sur l'ensemble une légère touche celte. Comme pour "Stati Di Imaginazione", PFM renoue avec ses racines instrumentales sur 'Freedom Square'. L'énergie délivrée tout au long de cette jam est tellement communicative que l'auditeur aurait peut-être aimé que le plaisir se prolonge. On peut pourtant regretter la durée un peu longue du présent album, qui aurait mérité d'être raccourci.
Avec "Emotional Tattoos", PFM réalise un album riche et foisonnant où les ballades se taillent la part du lion mais révèlent de grandioses paysages sonores. Certes, on ne retrouve pas le rock progressif des années 70 où au lieu
d'avancer en ligne droite, le groupe empruntait les chemins les plus
dérobés, mais ce serait se priver d'un agréable voyage que de passer son chemin sur ces tatouages d’émotions.