BRUCE SPRINGSTEEN: Tunnel Of Love (ROCK) : avis / chronique à lire sur Music Waves

Un succès aussi phénoménal que celui enregistré par "Born In The U.S.A." (1984) laisse forcément des traces dans la carrière et la vie de son auteur. Au-delà des ventes astronomiques de cet album, il y a aussi eu l’une des plus grandes tournées mondiales jamais organisées et la contrepartie des salles et stades remplis se ressent dans la vie privée de l’artiste. C’est ainsi que le mariage du Boss commence à battre de l’aile, d’autant plus qu’il commence à se sentir de plus en plus proche de Patti Scialfa qui l’accompagne au sein du E-Street Band. Et comme Bruce Springsteen est un homme et un artiste intègre, il décide de s’éloigner un peu de sa formation pour composer et enregistrer un disque plus intimiste et introspectif.

"Tunnel Of Love" paraît en 1987 et va surprendre beaucoup de monde en prenant une nouvelle fois le contre-pied de l’opus qui le précédait. Mais si ‘Ain’t Got You’ peut laisser augurer d’un nouvel album acoustique à la "Nebraska" avec son rock épuré et énergique interprété juste avec chant, guitare et harmonica, la suite diffère de l’œuvre légendaire de 1982. Seul le crépusculaire ‘Cautious Man’ empruntera ses terres arides. Traitant essentiellement du thème amoureux abordé au travers de textes traduisant un réel questionnement, les titres s’enchaînent dans une ambiance majoritairement douce et mélancolique juste interrompue par le teigneux et acéré ‘Spare Parts’ ou le puissant et lumineux titre éponyme au riff obsédant et envoûtant et au joli solo de guitare. Ce dernier est d’ailleurs le titre sur lequel apparaissent le plus de membres du E-Street Band qui interviennent de façon parcimonieuse sur quelques autres morceaux.

Mais si la majorité des titres offrent une ambiance calme, il ne faudrait pas s’imaginer qu’ils fassent preuve de mollesse pour autant. Tout d’abord, parce que ce n’est pas le style du Boss de se laisser happer par la guimauve. Ensuite, parce qu’il insuffle une telle émotion dans ses chansons et ses paroles que ces dernières en tirent une puissance évocatrice qui marque les esprits et les oreilles autant que des rocks virils. ‘Tougher Than The Rest’ ou ‘Walk Like A Man’ sont les meilleurs exemples de cet équilibre entre virilité, tendresse et fragilité. Le second s’éloigne d’ailleurs du thème récurrent pour s’adresser à son père et s’interroger sur sa capacité à suivre l’exemple de ce dernier. ‘Two Faces’ ou ‘One Step Up’ reviennent sur le questionnement et les hésitations sentimentales avec délicatesse et se font envoûtants avec les chœurs d’une Patti Scialfa dont l’investissement ne fait aucun doute. Plus rock sans être agressif, le single ‘Brilliant Disguise’ s’interroge sur la trahison, ‘When You’re Alone’ et son refrain obsédant se font à la fois désabusés et lumineux alors que ‘Valentine’s Day’ s’enfonce dans la nuit sur la route de la mélancolie du foyer familial.

Malgré sa qualité et des chiffres de ventes encore stratosphériques, "Tunnel Of Love" n’échappera pas aux critiques. Arrivant après l’ouragan "Born In The U.S.A.", il décevra nombre de nouveaux aficionados ignorants de la carrière du Boss avant cet opus. Pourtant, les véritables amateurs se délecteront de titres profonds et délicats ne manquant pas d’accroche pour autant. Une fois de plus, Bruce Springsteen prouve qu’il fait passer son art avant les impératifs commerciaux et que, quelle que soit la forme de son interprétation, son œuvre fait toujours preuve d’authenticité et de profondeur.

BRUCE SPRINGSTEEN

TUNNEL OF LOVE

COLUMBIA

ROCK