Il y a des noms qui ne trompent pas. Celui du maître Nick Zampiello qui l'a masterisé, ceux de Deadlight Entertainement et Throneruiner Records qui le publient respectivement en CD et vinyle, assurent déjà à "Cette Erosion de Nous-mêmes" son quota de plomb et une furieuse dose de colère. Les fidèles de ces deux labels savent à quoi s'attendre.
Sauf que Nesseria - quinze ans au compteur et trois albums sous le bras, en comptant le petit dernier - prend soin de rapidement brouiller les pistes pour mieux nous égarer. De fait, si les Orléanais font fi de préliminaires dont nous n’avons de toute façon que faire, en déboulant à la manière d'une bête enragée avec le chant biberonné au Destop de Dez qui hurle comme si demain ne devait plus exister, 'On Prendra l'Habitude' se voit vite perforé par des guitares ferrugineuses dont la glaciale noirceur doit davantage au black metal qu'au hardcore cependant que la fragile lumière qui jaillit de ses entrailles le colore de teintes quasi post rock. Mais en trois minutes, nous sommes déjà à genoux, prêts à offrir notre flanc à la morsure de cette robuste hampe.
Exigeant, Nesseria ne cède à aucune facilité, accouchant d'un magma sévère qui doit s'apprivoiser avant de pouvoir en goûter le suc empoisonné. Propulsées par des rouleaux de batterie qui s'écrasent contre des falaises rocailleuses, ces saillies grondent, constamment au bord de la rupture, d'une sourde tension qui les ronge comme une lèpre nocive ('Chasse aux Ecureuils'). S'il file très vite à la vitesse d'un cheval au galop, "Cette Erosion de Nous-mêmes" n'en dégorge pas moins une sève fulgurante car dans la panse obscure de ses titres grouillent des trésors d'écriture.
Sur un maillage ultra serré, son menu déroule une stratigraphie tendue et massive qui lui confère une forme de rudesse. Soucieux de s'affranchir des genres, des étiquettes, les Français inoculent à cette pâte survoltée de nouvelles influences (black, post metal...). Si certains seront surpris, voire décontenancés, par le résultat, alors que la signature douloureuse du groupe demeure pourtant inchangée, force est de reconnaître que Nesseria sort métamorphosé sinon grandi de cette mutation vers un art désormais peut-être moins épidermique mais dont l'ambivalence accrue qui l'écartèle, loin de l'exonérer d'une noirceur abrupte, le pousse dans les profondeurs d'un puits abyssal contre les parois desquelles s'accroche une sourde beauté.
Mais ne vous y trompez pas, s'il peut afficher par moments des traits plus mélodiques, ce qui contribue à le rendre d'un abord plus avenant ('Les Ruines'), « Cette Erosion de Nous-mêmes » se présente à nous dans toute sa force malsaine. Il suffit d'écouter le squelettique 'A l'Usure', pause osseuse qui suinte un désespoir poisseux, pour prendre la mesure d'une violence tantôt souterraine ('St Petersburg') ou frontale ('Forteresse'). De ces vomissures vocales qui déversent une bile enragée à ces câbles de guitares qui ouvrent des paysages beaux à pleurer couverts toutefois par une brume crépusculaire, témoins 'Dans l'Ombre et Sans Visage' ou la conclusion éponyme chargée d'une amertume funèbre, l'ensemble prend à la gorge, charriant une inexorabilité goudronneuse.
Au final, on ne sort pas indemne d'une écoute qui remue l'âme autant que les tripes.