En avril 2016, Liv Kristine annonçait quitter Leaves' Eyes. Autant on pouvait concevoir que Theatre Of Tragedy ait pu avoir une vie après qu'elle ait été virée sans ménagement en 2003, ce qui au final ne fut d'ailleurs pas le cas, autant on a du mal à imaginer le groupe qu'elle a fondé dans la foulée de cette éviction sans la Norvégienne à la barre, tant celui-ci se confond forcément avec sa personne. Même si les musiciens assurent que cette séparation s'est faite à l'amiable (ce que la principale intéressée dément), conséquence logique du divorce entre la belle et Alexander Krull, voir le drakkar poursuivre sa route avec une nouvelle figure de proue laisse un sentiment étrange sinon amer.
Très attachés à la petite sirène blonde, c'est donc avec une certaine méfiance que nous accueillons aujourd'hui "Sign Of The Dragonhead", album qui scelle l'alliance entre les Vikings et la chanteuse finlandaise Elina Siirala (Angel Nation). Produite par le guitariste et chanteur dans l'antre des inévitables Mastersound Studios, l'offrande assoie l'hégémonie de Alexander Krull au sein de cette formation dont il a peu à peu pris les commandes. Sans surprise, Leaves' Eyes poursuit l'évolution entamée depuis "Meredead" et amplifiée par "King Of Kings", délaissant les rivages folk intimes et doucereux des débuts pour aller fendre une mer épique et surtout de plus en plus symphonique, quitte à perdre en chemin une part de son identité.
Propulsé par un ensemble classique dirigé par Victor Smolski (Rage), "Sign Of The Dragonhead" va encore plus loin dans l'approche cinématique et grandiloquente. S'il est permis de regretter la simplicité de "Lovelorn" et de "Vinland Saga", il faut reconnaître au groupe l'ampleur acquise dans cette expression orchestrale d'un gothic metal gainé de touches celtiques. Que les fans (du dernier rang) soient rassurés, le bouleversement humain qu'il a connu n'a pas entamé la sève créatrice du combo et de nombreux hymnes instantanés jonchent un menu aux atours orageux. De fait, cette septième épopée ne saurait susciter la moindre réserve tant sur le plan d'une écriture millimétrée qu'en termes d'arrangements qui se parent d'une puissance emphatique.
Bien qu'irrigué de mélodies parfois un peu faciles ('Jombsborg'), l'ensemble fait très vite son œuvre, dosant avec un équilibre éprouvé les sentiments et les ambiances, tour à tour émotionnels ('Fairer Than The Sun') ou sombres ('Shadows In The Night') mais toujours valeureux à l'image de 'Like The Mountain' et du dansant 'Riders On The Wind', gigue endiablée qui emporte tout. Le paganisme dicte à Leaves' Eyes une partition aux accents rituels et chamaniques, témoin 'Völva' et un Rulers Of Wind And Waves', empreint d'une majesté crépusculaire comme échappé d'une superproduction hollywoodienne. "Sign Of The Dragonhead" peut d'ailleurs se percevoir comme la bande son d'une vaste épopée cinématographique dont 'Waves Of Euphoria' serait le dénouement, long de plus huit minutes guerrières et tragiques.
Déjà perceptible sur le disque précédent, l'influence de Nightwish imprègne une entame éponyme à laquelle participe le chant de soprano de la ravissante Elina Siirala qui semble être la pièce qui manquait au groupe pour parachever sa mue symphonique. Nouvelle clé de voûte de l'édifice, c'est naturellement vers elle que les regards et les oreilles se braquent. Et, nonobstant une performance digne d'éloges, elle se montre encore loin de faire oublier sa prestigieuse devancière. Si on peut reconnaître à ses employeurs le (bon) choix d'avoir fait appel à une diva au registre très différent, la délicatesse laiteuse de Liv Kristine faisait justement tout le sel de ce pagan metal sans laquelle il devient du coup plus quelconque.
Au final, même si "Sign Of The Dragonhead" ne démérite jamais, force est de constater que le principal tort des musiciens est de l'avoir publié sous la bannière d'un Leaves' Eyes amputé de celle qui en était l'âme. On peut certes comprendre que le groupe n'ait pas voulu repartir de zéro sous un nouveau nom mais le fait est que le drakkar n'est désormais plus vraiment le même…