Corrosion Of Conformity sans Pepper Keenan pour gueuler dans le micro avec son timbre velu qui fleure bon la Gitane maïs et le gros rouge qui tache, c'est un peu comme une journée sans sexe : c'est triste. Après un court hiatus, le groupe a remis le couvert en 2010 mais, amputé de son membre le plus charismatique, son rock burné qui sent sous les bras n'avait plus vraiment la même saveur, témoins les deux rondelles qui ont suivi la reformation. La réintégration du guitariste de Down était de fait particulièrement attendu par tous ceux qui estiment non sans raison que (le vrai) C.O.C. est mort après "In The Arms Of God" en 2005.
Mais "No Cross No Crown" ne marque pas seulement le retour de Keenan au sein du giron maternel mais surtout la résurrection du line-up qui enfanta la triplette "Deliverance" / "Wiseblood" / "America's Volume Dealer" entre 1994 et 2000, avec Woody Weatherman à la gratte, Mike Dean à la basse et Reed Mullin derrière les fûts. Bref, sur le papier, ce dixième album a de quoi exciter les fans qui se lèchent déjà les babines au moment de lancer son écoute. Inutile de tourner autour du pot plus longtemps, ces derniers ne seront pas déçus par cet opus qui tient toutes les promesses nées de cette réunion.
Si le quatuor ne cherche absolument pas à renouveler sa formule, restant sur ses (solides) acquis, il n'en demeure pas moins que la fureur crasseuse, presque punk, de ses vertes années a cédé la place à un constant souci mélodique qui dicte des chansons certes toujours aussi massives et graisseuses mais bien plus sophistiquées (ce n'est pas un gros mot). Plus que jamais, les Américains donnent l'impression d'être le fruit de l'accouplement (forcément) sauvage du Black Sabbath période Ozzy avec Thin Lizzy ! Il suffit de se prendre en pleine face des brûlots tels que 'E.L.M.', 'A Quest To Believe', 'Nothing Left To Say' ou bien encore le terminal 'Son And Daughter' que recouvre l'ombre de Queen, pour constater ce polissage.
Est-ce à dire que Corrosion Of Conformity s'est ramolli ? Il y a là un gouffre que nous ne franchirons pas. Lourd comme une enclume forgée par un High On Fire, 'The Luddite' ne saurait nous faire douter quant à la teneur en plomb d'une musique qui n'a cependant rien perdu de sa rugosité. "No Cross No Crown" trouve le juste milieu entre pesanteur sabbathienne ('Old Disaster') et envolées étincelantes ('Wolf Named Crow'), le tout enrichi d'une bonne dose de blues ('Little Man'). Si les nombreux intermèdes, squelettiques ('Matre's Diem') ou étranges ('Sacred Isolation'), qui le jalonnent, peuvent intriguer et sembler de prime abord faire du remplissage, ils contribuent en réalité à mettre en relief un menu auquel ils confèrent sa profondeur et sa force tectonique en une succession de vallons verdoyants et de montagnes puissantes.
Du coup, Corrosion Of Conformity touche au but et livre l'album que son public attendait, au moins depuis "In The Arms Of God" !