Il aura fallu attendre pratiquement vingt ans pour que Clouds Can donne un successeur à "Per Aspera" (1998). Clouds Can est un groupe allemand constitué de deux multi-instrumentistes, Dominik Hüttermann et Thomas Thielen, ce dernier étant plus connu des lecteurs de Music Waves sous le pseudonyme on ne peut plus court de T.
Si Thomas Thielen nous a habitués dans les albums de T à frayer avec un rock progressif complexe aux fréquents changements de thèmes, les compositions qu’il signe pour Clouds Can sont nettement plus simples et plus courtes. Il serait hasardeux ici de parler de rock progressif, préférons-lui les termes de rock éclectique, art rock ou art pop. Si la structure des titres suit d'assez près celle d’une chanson, l’écriture reste néanmoins très sophistiquée, utilisant par exemple des introductions sans véritable relation avec le thème principal ou jouant beaucoup sur les nuances.
C’est d’ailleurs l’un des principaux reproches que je ferai à un album fort intéressant sinon. S’il m'arrive fréquemment de pointer du doigt les artistes qui oublient que les nuances sont essentielles en musique, Clouds Can tombe dans l’excès inverse, passant parfois sans crier gare du pianissimo le plus confidentiel à un fortissimo tonitruant, incitant l’auditeur à jouer de sa télécommande en baissant et augmentant le son au risque de perdre une partie des intentions musicales des auteurs.
Avouons que ce petit désagrément est largement compensé par la présence vocale, omniprésente, de Thomas Thielen. Le timbre légèrement traînant et mélancolique de l’Allemand touche sans difficulté la corde sensible de l’auditeur, notamment lorsqu’il s’envole dans des aigus quasiment désespérés. Frissons garantis ! Les musiques sont souvent des murs de son où claviers, guitares, chœurs et percussions font une masse sonore dense, parfois trop (‘This Dream of Me’, ‘All We Are I Am Not’), sur laquelle s’élève une batterie qui assure des rythmes complexes et souvent à contretemps.
La mélancolie suinte de tous les titres, que ce soit du contrasté et torturé ‘Life Is Strange’, de ‘On The Day You Leave’ dont le délicat début piano-voix annonce une montée en crescendo paroxysmique, ou du rock vaporeux de ‘Like Any Angel’ qui rappelle David Bowie par son atmosphère singulière et Soup pour la progression de sa densité. Si ‘This Dream of Me’ est assez linéaire, la palme de l’étrangeté revient à ‘Insomnia’, heurté et inconfortable, qui vous laissera assurément une sensation de malaise.
"Leave" fait partie de ces albums immédiatement accessibles mais que l’auditeur redécouvre à chaque nouvelle écoute avec un plaisir croissant.