Il m’arrive régulièrement de pousser un coup de gueule dans ces pages parce qu’il suffit qu’un groupe fasse des chansons dépassant les six minutes ou s’affranchissant du carcan couplet/refrain pour qu’on lui attribue illico de façon aussi abusive qu’imméritée le label "progressif". Un qualificatif qu’assurément Deluge Grander ne vole pas tant sa musique n’est qu’une progression continue.
"Oceanarium" est le quatrième album dans la discographie du groupe américain et le second d’une série qui devrait en comprendre sept une fois finie, la thématique de chaque disque interagissant avec celles des opus qui le précèdent et le suivent immédiatement. "Oceanarium" se présente donc comme la transition entre "Heliotians" paru en 2014 et "Lunarians" prévu en 2018.
"Heliotians" est un peu à part dans la discographie de Deluge Grander. En effet, si les deux premiers albums étaient majoritairement instrumentaux, "Heliotians" s’appuyait au contraire sur les vocaux omniprésents de Megan Wheatley et Cliff Phelps. "Oceanarium" prend le contre-pied de son prédécesseur en étant 100 % instrumental. Et de fait, si "Heliotians" s’avérait peut-être l’album le plus facile à appréhender dans la discographie des Américains, "Oceanarium" prend certainement le chemin d’en être le plus complexe.
Imaginez 80 minutes d’une musique d’où ne se dégage aucun thème récurrent, rien à quoi la mémoire puisse se raccrocher et vous aurez une bonne idée de ce qui vous attend. La musique semble faire une perpétuelle fuite en avant, variant en permanence les atmosphères, les rythmes, faisant intervenir une multitude d’instruments qui ont tous leur moment de gloire. Moins mélancolique que l’album précédent, et même parfois primesautier et dansant (il est aisé d’imaginer des gens en tenues très flashy et multicolores se déhancher sur le début de ‘A Numbered Rat, a High Ledge, and a Maze of Horizons’ qui ouvre l’album de façon enlevée), "Oceanarium" se rapproche beaucoup des productions d’Isildur’s Bane, en moins cinématique toutefois que celles des Suédois. On peut aussi penser à Hatfield & The North par cette propension à sauter du coq à l’âne et les effluves indéniablement seventies que la musique dégage.
Malheureusement, la production étouffée et un peu plate fait également penser à celle des seventies, n’offrant pas toujours aux performances instrumentales le relief qu’on espérait. Par ailleurs, faisant mentir l’adage selon lequel "abondance de biens ne nuit pas", Deluge Grander en se montrant trop généreux prend le risque de voir l’auditeur décrocher bien avant la fin, la complexité du propos et l’absence de chant ne facilitant pas la concentration de celui-ci, aussi bienveillant soit-il. Non seulement l’album nécessitera de nombreuses écoutes pour se laisser apprivoiser, mais en plus il est recommandé de l’écouter en plusieurs fois pour ne pas sombrer dans une certaine léthargie.
Ceux qui auront la patience de suivre ces conseils seront récompensés par la beauté de certains thèmes, le caractère mélodieux et la fluidité de la musique qui ne se démentent pas durant quatre-vingts minutes. Par son côté magistral et ambitieux, et par son titre, l’album s’apparente à un certain "Tales from Topographic Oceans", lui aussi trop long mais offrant la même expérience intense à l’auditeur. Du moins, à l’amateur de vrai rock progressif !