Kartikeya fait partie de ces musiciens impitoyables qui mélangent les styles, permettant à la fois de s'immerger dans un bouillon brûlant mais aussi d'être plongé dans la contemplation silencieuse d'un tableau aux mille facettes.
"Samudra" (l'océan en sanskrit) est ainsi une chevauchée entre méditation ascétique et colère brutale. Un disque où s’invitent non seulement des invités prestigieux, Karl Sanders (Nile), Keith Merrow (Conquering Distopia), mais aussi une pléiade d'instruments traditionnels folkloriques. La force de cet opus réside dans la transgression des genres, dans un ailleurs musical, au-delà des soubresauts caverneux et des guitares grasses.
L’introduction cinématographique ('Dharma - Into the Sacred Waves'), digne des formations progressives, dépeint comme un paysage de sable chaud et de vent brûlant, agressant les peaux desséchées. La colère grandit, puis se déchaîne sur fond de rythmes bestiaux ou de cris rauques. Toutefois, même si le titre est parsemé de guitares acoustiques, de flûtes indiennes ou enluminé par une voix épurée digne d'Orphaned Land qui plonge ses racines dans des contrées de légendes, la formation retombe vite sur ses bases death, bien lourdes et bien poisseuses.
'Tandava' (une danse indienne), tout en poursuivant dans la même veine nerveuse aux rythmes trépidants, s'approche d'Arch Enemy. Sur cette longue pérégrination, les rythmes oscillent entre courses échevelées, lourdeur étouffante quasiment doom ou blasts écrasants dignes de Morbid Angel. 'The Horrors of Home' joue quant à lui sur les climats, en ponctuant sa colère sombre d’interludes aériens presque jazzy où la batterie virevolte.
Au fil de l'écoute, les ambiances se suivent, les fusions entre univers possiblement contradictoires s'opèrent (chœurs grandiloquents, cordes dépouillées, riffs terreux et voix d'outre-tombe) et initient alors une danse où la beauté et l'émotion s'accouplent. La plus grande surprise vient avec 'Kannada (Munjaaneddu Kumbaaranna)' où le chant indien mélangé aux riffs lourds révèle une facette inexplorée de la musique universelle.
Enfin 'Dharma, Pt. 2 - Into the Tranquil Skies' clôt ce livre de légendes avec sublime et prestance. Les évolutions musicales y sont nombreuses et parsèment ces ultimes instants de jets de lumière et de sensations colorées. Porté par le goût de la progression, la formation empile à sa guise les genres et les modes, la modernité et la tradition. Les mélodies fusent de partout, titillent les oreilles, terminent l'opus en apothéose jouissive, comme une illumination musicale ultime.
"Samudra" est un chef-d'œuvre de virtuosité et d'élégance oscillant entre boues crasseuses et lévitation incantatoire. La formation y propose une musique hors des modes, hors du temps, hors des genres. Bourrée de surprises, de mélodies, de violence, de technique, la rondelle rivalise d'adresse avec le dieu Nile. "Samudra" est donc un véritable coup de cœur qui libère au fil des écoutes son âme profonde et ses qualités mystiques... Espérons qu'elle devienne avant tout une œuvre mythique.