Un jour, Jeff Beck a dit à Beth Hart : "Aussitôt que tu te sentiras confortable et que tu ne te mettras plus en danger, alors tu commenceras à mourir artistiquement". Ce conseil n’est pas tombé dans une oreille inattentive et il a même été partagé avec le plus célèbre des complices de la chanteuse : Joe Bonamassa. Du coup, que font les deux compères lorsqu’ils ne sortent pas un album solo ? Ils en enregistrent un en duo. Après les succès de "Don’t Explain" (2011) et "Seesaw" (2013), et du "Live In Amsterdam" (2014), les deux génies se sont retrouvés une nouvelle fois en compagnie du producteur Kevin Shirley pour enregistrer un nouvel opus. Composé uniquement de reprises, ce "Black Coffee" bénéficie de la participation de fidèles tels que Anton Fig (batterie), Ron Dziubla (saxophone) ou Lee Thornburg (trompette et trombone), mais également d’autres fines gâchettes qui travaillent pour la première fois avec la paire magique du blues-rock actuel. Parmi elles, nous citerons le bassiste Michael Rhodes, le pianiste et claviériste Reese Wynans, et Mahalia Barnes (fille de Jimmy Barnes) aux chœurs.
Le risque avec une telle réunion de pointures du genre, c’est souvent la lutte des ego. Dans le cas présent, et comme cela fut déjà le cas sur les précédents opus, le problème ne se pose pas, bien au contraire. Chaque intervenant se met au service du projet et la saine émulation pousse l’ensemble vers de nouveaux sommets. La preuve en est que l’ensemble a été enregistré en seulement cinq jours pour un résultat encore époustouflant. Aussi improbable que cela puisse paraître, Beth Hart continue à chanter de mieux en mieux. Elle est capable de transmettre un feeling poignant et envoûtant (‘Damn Your Eyes’), et se montre le digne successeur de Tina Turner sur un ‘Black Coffee’ aussi soul que furieux. Par ailleurs, elle sait également faire preuve d’une délicatesse émouvante sur un ‘Lullaby On The Leaves’ qui se révèle à la hauteur de la célèbre version d’Ella Fitzgerald sur Hello Dolly en 1964, mais tout en étant totalement personnalisé par le duo et ses complices.
De son côté, Joe Bonamassa évite de tirer la couverture à lui, même s’il ne manque pas une occasion d’offrir des soli lumineux comme le magnifique final du ‘Lullaby On The Leaves’. Mais le point le plus frappant d’un album qui n’en manque pourtant pas, est ce parfait équilibre entre appropriation et respect sur chaque titre. Propulsé par une section cuivre et des chœurs en fusion, le ‘Give It Everything You Got’ d’Edgar Winter bénéficie d’une puissance presque hard-rock tout en ayant un groove à déconseiller aux prothèses de hanches. Et que dire de ce ‘Joy’ de Lucinda Williams martelé de telle manière qu’il laisse entrevoir un groupe de prisonniers frappant la rocaille le long d’une route poussiéreuse et surchauffée du sud des Etats-Unis ? Qu'elle s’impose comme un nouvel incontournable, à l'instar de la version jazzy et hyper catchy de ‘Why Don’t You Do Right’, d'un ‘Saved’ devenu un gospel survitaminé à l’énergie communicative, ou d'un ‘Sitting On The Top Of The World’ au superbe duel guitare/claviers et qui soutient la comparaison avec les meilleures interprétations de Ray Charles, Howlin’ Wolf ou BB King.
Entourés par une équipe aussi talentueuse que solidaire, Beth Hart et Joe Bonamassa offrent ce qui est probablement un des meilleurs albums de covers du genre. Le plaisir pris à l’enregistrement est totalement partagé par l’auditeur qui ne peut que se laisser emporter par un ensemble variant les tempi et les intensités mais se maintenant sur les sommets sans laisser apparaître la moindre faille. Voici une preuve supplémentaire que, si le style n’offre pas forcement une grande marge en matière d’originalité, il permet néanmoins aux plus talentueux de faire la différence.