Dans la vie, tout est souvent affaire de timing. Ainsi, "The Gardening Club" ne pouvait pas choisir de plus mauvais moment que de voir le jour en 1983. Après la vague disco et la déferlante punk, la mode est à la new wave, aux synthés appelés à devenir kitsch et aux musiques de trois minutes ayant le potentiel pour figurer au Top 50. C’est l’ère des Alphaville (‘Forever Young’), Orchestral Manœuvres in the Dark (‘Enola Gay’) et autres A-Ha (‘Take on Me’) ou en France des Début de Soirée (‘Nuit de Folie’) ou Images (‘Les Démons de Minuit’). Autant dire que ce disque d’atmosphère dont les racines puisent dans un récent passé progressif (un gros mot en ce début des années 80 !) passe à sa sortie au mieux inaperçu, au pire pour une incongruité.
Fort heureusement, Gonzo Multimedia a eu la bonne idée de tirer l’album du néant où il était plongé pour le rééditer fin 2017. Cela fait longtemps que le rock progressif n’est plus frappé de l’ostracisme aveugle et haineux de la fin des années 70-début des années 80, ce qui nous permet de nous intéresser à cet album en toute équité. Encore que l’album soit plus constitué d’un rock éclectique et original que de pur prog. Certes, les guitares sonnent parfois à la manière du Genesis de la première époque, mais c’est incontestablement au Caravan de Pye Hastings que "The Gardening Club" renvoie.
Comme à la bonne époque des groupes affiliés à l’école de Canterbury, Martin Springett, qui jusqu’à présent s’était essentiellement consacré au rôle d’illustrateur de pochettes dans le domaine musical, réunit dans ce premier album une douzaine de compositions au format court mais d’une incroyable liberté. La musique semble vagabonder, suivant d’abord un schéma couplet-refrain classique pour prendre sans crier gare un chemin de traverse qui vous emmène loin de la mélodie originelle. Mais tout se fait en douceur, naturellement, avec une fluidité confondante. Les thèmes mélodiques sont simplement beaux, limpides, souvent solaires. Pas de prise de tête, pas de complexité inutile, aucune dissonance, tout respire la simplicité dans la plus grande diversité.
Alternant titres chantés et instrumentaux, l’album fait la part belle aux guitares, électriques et acoustiques, en accords plaqués, en arpèges et en picking, mettant en avant la sensibilité de l’artiste bien plus que sa technique, même si celle-ci est évidente. Pour donner de la variété, d’autres instruments s’invitent régulièrement : basse homérique sur ‘Andromeda’, Moog spatial sur ‘Three Days at Brighton’, flûte et saxophone un peu partout, donnant une impression de légèreté et de bien-être. Le timbre de la voix est léger et apaisant, rappelant la fragile douceur de Pye Hastings ou un Adrian Belew en moins dur, donnant un parfum très british à l’ensemble.
Cinq titres tirés de l’EP "Songs From the Greenhouse" viennent s’offrir en bonus de l’album originel. Sans être désagréables à écouter, ils ne retrouvent pas la grâce qui a touché "The Gardening Club" et constituent un complément dispensable mais nullement gênant.
Si sa première parution s’était effectuée dix ans plus tôt, cet album serait rentré dans la légende et constituerait aujourd’hui un incontournable de l’école de Canterbury. Que vous soyez fan de rock seventies, de guitares gorgées de feeling ou tout simplement d’une musique simple mais bien faite, alors rattrapez le temps perdu et ne manquez surtout pas une seconde fois cet album magistral.