Earthless est ce groupe qui transforme chacune de ses performances scéniques en happenings orgasmiques, élevant le rock instrumental cosmique et psyché au rang d'art. Malgré d'excellentes rondelles, notamment le matriciel "Sonic Prayer", le power trio californien n'est jamais vraiment parvenu à capturer en studio la fabuleuse énergie de ses concerts aux allures de rampe de lancement pour le guitariste et émule de Jimi Hendrix devant l'éternel, Isaiah Mitchell, dont les joutes avec le batteur métronomique Mario Rubalcaba, parfaitement soutenu par le plus discret et néanmoins indispensable bassiste Mike Eginton, demeurent une inépuisable source de frissons humides.
Et ce n'est pas "Black Heaven" qui contredira cette impression que les Américains ont besoin de la liberté que seul le live peut leur fournir pour atteindre le nirvana. Qui plus est, ce quatrième album, sans compter des splits et autres live (justement) par palettes entières, se révèle tout d'abord décevant au point de se demander si le groupe n'a pas commis son premier faux pas. Il y a deux raisons à cette (fausse) déception. D'une part, la durée des titres a fortement raccourci. Alors que Earthless était réputé pour ses pièces à rallonge tutoyant les vingt minutes au garrot, ses nouvelles compositions arborent un format au mieux deux fois moins long quand il n'est pas plus radin encore. Certes, tout n'est pas (toujours) une question de longueur (paraît-il) mais c'est un rock amputé de sa dimension jammesque et quasi spatiale que le successeur de "From The Ages" (2013) semble besogner.
D'autre part, le second point de discorde - et pas des moindres - réside dans la place occupée par le chant du guitariste. Si celui-ci a toujours été présent, il se réduisait jusqu'à présent à un simple accessoire, le temps d'une reprise comme sur le 'Cherry Red' de The Groundhogs. Or, à l'inverse de ses prédécesseurs, "Black Heaven" ne propose que deux pistes instrumentales (sur six), le très court 'Volt Rush' et surtout l'immense morceau éponyme sur lequel nous reviendrons. Cet ajout paraît ainsi confirmer le fait que l'essence d'Earthless s'est diluée dans un moule plus quelconque, possible conséquence de la signature avec le géant Nuclear Blast chez lequel on se demande quand même ce que le trio de San Diego vient faire.
Pourtant, une fois cette décevante défloration passée, on comprend que le groupe a eu finalement raison d'opérer ce changement, le chant de Isaiah Mitchell injectant une bonne dose de sang frais à une recette qui risquait, peut-être, de commencer à tourner à vide. Dans ce registre aussi, l'homme s'inspire de Hendrix ('End To End') et fait montre d'un talent certes mineur qui se fond toutefois idéalement dans ce creuset psychédélique. De plus, les progrès qu'il a réalisés sont évidents, comme l'illustre 'Sudden End', conclusion lente et enfumée.
Reste que ce sont bien ses jouissives saillies électriques dont il n'est pas avare qui propulsent l'opus vers un Olympe sonore. Dans ce domaine, Earthless prouve qu'il demeure le maître grâce à deux monuments, 'Electric Flame' et sa rythmique velue et plus encore ce 'Black Heaven' dantesque, véritable feu d'artifice de près de neuf minutes, craché par une six-cordes bourrée jusqu'à la gueule de feeling. On imagine sans peine les ravages que ce titre occasionnera sur scène, lequel justifie à lui seul l'écoute de cette galette dont on mesure au fil des écoutes qu'elle est en tout point digne de ses aînées et du style Earthless dont, en définitive, elle ne trahit pas l'âme, bien au contraire.