En 2018, The Damned revient errer sur notre planète. Fer de lance du mouvement punk (son single ''New Rose'' est la première production du punk anglais), The Damned, mené par son inévitable Captain Sensible (auteur d'un tube interplanétaire en 1982, 'Wot') et l'inquiétant Dave Vanian, avait très tôt montré un intérêt certain pour soigner ses mélodies, à l'instar des Stranglers. C'est ainsi que nos compères infernaux ont invité leurs auditeurs à pénétrer dans un monde captivant et bariolé : sombre et sépulcral annonçant le rock gothique, pop avec des chansons efficaces et encore punk avec une grosse débauche d'énergie, le tout saupoudré d'humour noir. Au fil de son histoire mouvementée (chacun de leurs albums résulte d'une nouvelle entente après une énième séparation), The Damned est toujours retombé sur ses pieds. En 2018, soit dix ans après son précédent album ''So, Who's Paranoid?'', les Londoniens ont-ils fait un pas de trop à une époque où la musique est devenue un synonyme de détente?
Contrairement à ce que l'on aurait pu penser, le groupe s'est toujours entouré des meilleurs : Nick Lowe et même Nick Mason (comme quoi les punks ne sont pas tous anti Pink Floyd). Pour cette nouvelle cuvée, c'est le non moins estimable Tony Visconti (David Bowie) qui les encadre derrière sa console. ''Evil Spirits'', au nom prédestiné, happe d'entrée son auditeur. Nous voilà revenus au temps des incontournables ''Machine Gun Etiquette'' ou encore ''Phantasmagoria''. Le groupe peut compter sur le retour de son revenant bassiste, présent dans le groupe à la fin des années 80.
Le tonitruant 'Standing On The Edge Of Tomorrow' avec son introduction où les instruments apparaissent les uns après les autres laissant place à un refrain imparable aux chœurs endiablés fait déjà office de classique. Mais ici point de délire rétro d'un groupe de ringards, The Damned traverse les époques à la façon d'un Dorian Gray. Captain Sensible à la guitare est toujours autant capable de placer le riff qui tue ('We're So Nice'), jouant avec enthousiasme sur la lourdeur et la saturation ('Standing On The Edge Of Tomorrow', son solo fou dans 'Daily Liar') tout en misant parfois sur un peu plus d'acoustique (sur un rapide pont de 'Devil In Disguise'). La batterie nous abreuve de coups ('Devil In Disguise'), les claviers se font orgues et placent de redoutable nappes qui sont des liens qui enserrent les chevilles de l'auditeur ('Devil In Disguise', 'Look Left'). Mais fraise sur le cochon (référence à la pochette de l'album ''Strawberries''), la voix de Dave Vanian est intacte. La voix profonde de celui qui se maquillait comme un vampire est toujours aussi magnétique ('Devil In Disguise', 'Sonar Deceit') qu'enchanteresse, usant sans artifice d'une théâtralité bienvenue.
Post-rock, The Damned ne dédaigne pas de lorgner vers la pop comme le prouvent les joyaux 'We're So Nice', 'Look Left' ou encore 'Daily Liar'. Le groupe s'autorise toujours quelques saillies humoristiques, à la façon de 'Procrastination' et ses rythmiques assez proches de Devo (avec son orgue sautillant) qui pourrait même devenir un tube involontaire. On pourrait toutefois regretter que le groupe n'ait pas été tenté par plus de noirceur voire d'un fleuve d'acide. Toutefois les amateurs d'ambiances lugubres se contenteront de 'Shadow Evocation' qui semble lutter entre clarté et ténèbres, porté par un refrain généreux, une basse funèbre et une introduction tendue, et 'Sonar Deceit', s'affirmant comme l'un des titres les plus sombres du présent opus avec ses glaçants arpèges de guitare, ses nappes d'orgue, ses chœurs féminins et ses trompettes proches d'un Alice Cooper. On se réjouira aussi de 'I Don't Care' qui débute comme une ballade dépouillée au piano avec la voix poignante avant un maelström où culminent guitares et trompettes. Si le groupe s'est essayé sur certaines pistes au rock progressif, il montre toujours une certaine curiosité à dépasser les genres.
Les Damnés ont insufflé suffisamment d'esprit maléfique dans leur nouvel opus pour que l'auditeur se laisse tenter. Autant lumineux que sombre, The Damned fait encore montre de ses qualités pour soigner les mélodies, trouver un refrain imparable et entraîner les suffrages favorables. Néophytes de tous pays tout autant que fans, pressez-vous chez votre disquaire pour faire le plein de damnation !