Certains se souviennent peut-être de Mourning Lenore, formation qui n'aura enfanté qu'un seul album en 2010, "Loosely Bounded Infinities", petit bijou de doom death granitique et solaire. En sommeil depuis six ans, on retrouve son dernier bassiste, Fernando Matias dans les rangs de Sinistro. Celui qui en assure également les claviers n'est pourtant pas la clé de voûte de cet édifice sorti de la sombre terre lusitanienne en 2012, ce rôle étant dévolu à la belle Patrícia Andrade.
Le fait que ce soit une chanteuse qui déclame ces psaumes pétrifiés nous évoque un autre de ses compatriotes, lui aussi disparu, Ava Inferi avec lequel il partage plus que cette féminité ténébreuse mais surtout cette manière de marier les couleurs, terreuses et limpides, au sein d'une palette crépusculaire. En signant chez Season Of Mist, les Lisbonnais ont clairement franchi un cap avec "Semente", deuxième offrande à laquelle succède en ce début d'année 2018, le très attendu "Sangue Cássia".
Envoûté par les mélopées fantomatiques de sa figure de proue, le pèlerin ne peut qu'à nouveau être sous le charme, entraîné le long d'un chemin caillouteux s'enfonçant dans la nuit. Deux massives sentinelles bordent cette immersion dans un univers chargé d'atmosphères mais néanmoins engourdi, prisonnier d'une geôle de tristesse. Du haut de ses onze minutes au garrot, 'Cosmos Controle' se dresse, porte d'entrée monumentale où l'inexorabilité la plus écrasante se conjugue à une beauté évanescente. Léthargique, le tempo est englué dans la terre que viennent caresser ces lignes vocales spectrales inspirées du Fado, tandis que les claviers étendent un tapis d'une funèbre luxuriance.
A l'autre bout lui répond 'Cravo Carne', épilogue assommé par une chape de plomb où les guitares libèrent des ondes sismiques. Mais il y a toujours la présence fragile et poétique de Patrícia, pâle vigie qui perce le brouillard et brise le monolithisme aussi absolu qu'admirable de cette partition qui s'abîme peu à peu dans les profondeurs telluriques.
Entre ces deux blocs s'enchaînent des pièces (un peu) plus ramassées qui illustrent tout autant cette noirceur pointilliste faite de petites touches tantôt osseuses tantôt granitiques. Par exemple, miné par une douleur prégnante, 'Lotus' est éclairé par la voix déchirante de cette sirène qui, loin d'en altérer la puissance abyssale, ne fait que la souligner plus encore.
Qu'il se montre aérien ('Vento Sul'), intimiste ('Petalas'), hypnotique parfois ('Nuvem'), quoique toujours pesant ('Gardenia', 'Abismo'), "Sangue Cássia" baigne tout du long dans un clair-obscur qui l'attire dans les méandres épaisses d'un doom atmosphérique aux confins du post metal. Sa langueur pourra laisser sur faim mais sa charge émotionnelle est telle que l'on ne peut résister à son sinistre pouvoir de fascination, qui résonne comme un funéraire appel des limbes...