Quel bel album ! "A Perfect Union Of Contrary Things”, le titre de la biographie de Maynard James Keenan parue en 2016, suffit presque à qualifier le nouvel opus d’A Perfect Circle. Car c’est bien de cela dont il s’agit. "Eat The Elephant" est l’union parfaite de musiques contraires et hétéroclites qui s’attirent comme des aimants pour former une œuvre en mouvement perpétuel, plus surprenante à chaque écoute. Quel groupe est capable de se réinventer avec autant de liberté ? Quels artistes sont capables de marier les contraires avec autant d’inspiration ?
Oh bien sûr, l’attente a été longue, beaucoup trop longue. Quatorze ans depuis "Emotive", quinze ans depuis le chef-d’œuvre "Thirteen Step". Les années ont passé. Chacun a vaqué à ses occupations et à sa carrière solo, Billy Howerdel avec Ashes Divide et Maynard avec Puscifer, tout en se consacrant à ses vignes en Arizona et à la production de son vin, et en faisant languir ses fans qui n’en peuvent plus d’attendre le prochain album de Tool.
Mais c’est encore une fois en surprenant son monde que l’énigmatique misanthrope s’est concentré sur un nouvel album d’A Perfect Circle. Tool attendra encore un peu. Il faut dire qu’il a été servi sur un plateau par Billy Howerdel qui lui n’a jamais cessé de composer. Toujours à la recherche de nouvelles sonorités, le guitariste a ainsi proposé de nouveaux titres à Maynard James Keenan, que ce dernier a façonné à son image, celle d’un artiste surdoué et insaisissable, cultivé et imprévisible, génial et charismatique. Autant de qualificatifs qui définissent également "Eat The Elephant".
Pourtant il y a fort à parier que cet opus soit dans un premier temps mal aimé, voire incompris. Le temps du metal alternatif sophistiqué de "Mer De Noms" est bien loin. "Eat The Elephant" est un album cold wave mélodique dont les qualités de composition et la complexité des structures harmoniques ne se révèlent qu’après plusieurs écoutes. Envoutant et addictif, l’album poursuit le travail entamé avec "Thirteen Step" et ses ambiances atmosphériques mais possède plus d’aspérités et de caractère, renforçant le côté pop de la musique du combo en donnant la primeur au piano plutôt qu’à la guitare sur de nombreuses compositions.
Le ton est donné dès l’entame de l’album avec le titre ‘Eat The Elephant’. Juste un piano, une batterie et la voix de Maynard qui n’a sans doute jamais aussi bien chanté. Il s’ensuit un festival de morceaux plus géniaux les uns que les autres, un kaléidoscope musical de synthpop teintée d’electro rappelant étrangement Depeche Mode (‘The Doomed’, ‘Talk Talk’, ‘Hourglass’), de pop progressive (Disillusioned), de rock atmosphérique anathemien (‘Contrarian’, ‘Feathers’) et de pop rock avec ‘So Long And Thanks For All The Fish’ qui a tout d’un tube en puissance. Tel un peintre impressionniste, le groupe étale sur sa toile musicale des couleurs harmoniques bigarrées pour accoucher d’une œuvre hétéroclite et fascinante empreinte de folie maîtrisée et de sagesse apparente, tout en mariant à la perfection l’intensité rock des guitares (‘By Down The River’, ‘Delicious’) et la mélancolie des claviers (‘DLB’).
Foisonnant, inspiré et terriblement moderne, "Eat The Elephant" est un bijou de précision et d’écriture qui confirme la singularité d’A Perfect Circle et le conforte, à l’instar de son cousin Tool, dans sa position de groupe définitivement à part sur la scène rock mondiale. Quel bel album !