En deux albums, les Français de Lizzard ont affirmé leur signature à la croisée du metal alternatif, du progressif et de l'atmosphérique. Trois ans après un "Majestic" qui donnait des signes d'émancipation par rapport à une approche initiale très marquée par Tool, le trio est de retour avec "Shift".
Malgré son titre (changement), Lizzard n'a pas foncièrement changé et propose toujours un metal très travaillé censé faire mouche dès la première écoute en s'appuyant sur son lot de riffs mémorables, de grooves reptiliens et de refrains riches en mélodies. Avec la triplette formée du progressif 'Singularity', de 'Gemini' sous forme d'accouplement entre Godsticks et This Misery Garden et du groovy 'Min(E)d' qui rappelle aussi bien la scène australienne (Karnivool, The Butterfly Effect) que scandinave (Morph), on peut difficilement faire plus efficace. Les français ont tout compris de la composition en peaufinant leurs introductions et leurs finitions et en fluidifiant le déroulement de leurs chansons comme dans les trois morceaux précités mais aussi le superbe 'Bloom' et sa montée émotionnelle irrésistible.
Lizzard n’en oublie pas leurs appétences atmosphériques, spécificité présente dès les origines, mais comme on l'avait déjà entendu dans "Majestic", celles-ci sont moins directement planantes (là est peut-être le changement), plus du registre de la pop, sous forme d'arrangements de piano ou d'ambiances (les mid-tempi 'Bloom' ou 'Passing By' dans un style proche de Demians) et plus disséminées dans le corps des morceaux. Et notamment via les articulations et les ponts très bien maîtrisés comme dans 'Singularity' pour lancer l'ascension dantesque finale, le pré-refrain de 'Gemini' ou 'Open View'.
"Shift" réussit un sans-faute si on excepte trois petites réserves. Celles-ci concernent l'instrumental 'Shift' qui souffre d'un manque de variété et qui aurait gagné en densité si le chant y avait été ajouté, 'Leaving The Dream' moins riche mélodiquement que les autres titres et la fin de 'Passing By' que l'on aurait aimée plus grandiose pour clôturer le disque plutôt qu'un simple decrescendo.
Ces quelques modérations n'entachent en rien le plaisir pris à l'écoute de "Shift" qui consolide un peu plus le style polymorphe de Lizzard. Cette étape dans la trajectoire artistique du trio suit une logique d’efficience qui lui correspond parfaitement mais rien ne dit que le groupe, fidèle à son esprit progressif, suive cette voie dans l’avenir. D’ores et déjà, "Shift" est l’album qui confirme le statut de Lizzard en tant que valeur sûre du metal hexagonal.