Nonobstant ses incontestables qualités aussi bien techniques qu'artistiques, "Une Ombre Régit les Ombres" n'avait pas réussi totalement à emporter l'adhésion, la faute à une inspiration certes généreuse mais pas toujours canalisée, au service de compositions fleuves répondant à un même schéma de construction. Les (belles) idées étaient là cependant, nichées dans l'intimité de ce premier album prometteur dont les quelques faiblesses ont pu laisser croire que nous attendions peut-être trop de ce groupe français conduit par le guitariste Guillaume Fleury. "A l'Heure du Crépuscule" vient pourtant démontrer que nous avions eu raison d'espérer beaucoup de sa part.
Encore une fois mise en boîte à l'aide du talentueux Déhà, cette seconde offrande porte vers des sommets cet art noir poétique et tourmenté dont la sophistication ne le vide jamais d'une émotion granuleuse. Si les noms de Dissection ou d'Opeth sont évoqués par certaines plumes sans imagination pour le décrire, le style élaboré par le quatuor n'appartient en réalité qu'à lui, apposant son sceau ténébreux sur de longues pièces qui, par la grâce d'une créativité foisonnante, échappent à ces raccourcis un peu faciles.
Si cette identité particulièrement affirmée était déjà lisible sur "Une Ombre Régit les Ombres", son successeur, en corrigeant les menus défauts qui le grevaient, lui donne cette fois-ci tout l'éclat et l'ampleur qu'elle réclame. Habillé d'un superbe visuel inspiré de "L'Automne" du peintre Anne Louis Girodet Trioson, "A l'Heure du Crépuscule" dévoile un collectif désormais maître de son art. Les chansons ont gagné en profondeur. Toujours aussi travaillées, celles-ci ne confondent plus longueur de la trame et richesse des aplats, même si elles prennent à nouveau leur temps pour étendre un tapis d'atmosphères froides et entêtantes.
Ainsi, entre deux respirations instrumentales du plus bel effet, notamment 'Les Ailes du Temps', conclusion chargée d'émotions, et un titre éponyme plus ramassé, ce qui ne freine en rien sa sève torrentueuse, ce sont trois édifices en clair-obscur, à l'architecture monumentale, qui forment le c(h)œur de cet opus bourgeonnant qui réussit la synthèse parfaite entre une violence déchaînée et des ambiances délicates. 'Sous les Cendres et la Pierre' ou 'Souvenir de Lierre' témoignent des progrès accomplis, pistes à la fois tentaculaires et aériennes, noires et lumineuses où la beauté et la tension explosent en une myriade d'images d'un lyrisme terreux.
Alors que les parties de guitare, virtuoses et vibrantes de beauté, en sont les déliés arcs-boutants, ces cathédrales de souffrance résonnent du chant puissamment expressif de François Blanc, aussi orageux quand il pousse ses growls venus des ténèbres que désespéré lorsqu'il utilise sa voix claire comme le pinceau de sentiments fragiles. Si certains de ses titres peuvent rappeler des chefs-d'œuvre de notre patrimoine cinématographique ('Les Visiteurs du Soir', 'La Grande Illusion'), l'ensemble suit un récit personnel que l'on suit avec passion sans qu'aucune baisse de régime ne vienne en grignoter l'intensité.
Avec "L'Heure du Crépuscule", Abduction signe le grand disque que nous attendions, bijou d'écriture et d'ambiances savamment dosées en l'honneur d'un black metal atmosphérique et aiguisé, littéraire et ombrageux.