En exergue du site du groupe allemand Frequency Drift trône fièrement l’inscription "cinematic music". Le chroniqueur méticuleux se tourne alors vers M. Harrap’s, référence en la matière, pour en trouver la traduction : "musique cinématique" (il aurait pu s’en douter). Un questionnement vient alors impérativement lui chatouiller la curiosité, qu’il a sensible : qu’entend-on exactement par "musique cinématique" ? Demandant un complément d’information cette fois à M. Larousse, il apprend que l’adjectif cinématique se rapporte au mouvement ou à la vitesse, et en déduit que la musique de Frequency Drift cherche à illustrer ce qui est en mouvement.
Soit. La sortie du huitième album du combo, "Letters to Maro" vient à point pour fournir une démonstration du savoir-faire des Allemands en la matière. Hormis le remplacement de la chanteuse, la formation est restée stable, avec le duo Andreas Hack et Nerissa Schwarz aux commandes. Concernant le ton général de l’album, nous sommes très, très éloignés de ce que l’appellation "musique cinématique" pouvait laisser entrevoir : les rythmes sont généralement lents ('Izanami'), voire très lents ('Sleep paralysis', bien nommé), et les instrumentations visent à la fois un dépouillement propre au genre atmosphérique et une recherche des sons très soignée. Car il faut reconnaître un mérite à ce "Letters to Maro", celui de montrer un travail très abouti dans la recherche des textures et des ambiances. En cela, la musique de Frequency Drift peut être qualifiée de "cinématographique", terme qui a depuis quelques années émergé à la place d' "atmosphérique" (comme si la musique devait obligatoirement suggérer des images, là où elle peut plus largement évoquer des impressions, des atmosphères). Le groupe confirme en effet avec force une tendance apparue dans le précédent "Last", où l’orientation mélodique qui prévalait auparavant s’était effacée pour faire place à un ton atmosphérique plus maigre musicalement.
C’est bien là que le bât blesse : la musique atmosphérique, qui vise à tisser des ambiances avec une grande économie de moyens, a souvent été critiquée pour reposer sur peu de fond mélodique, et c’est ici l’ornière dans laquelle est tombé le combo allemand. Il y a une grande indigence musicale dans cet album, qui vise à faire illusion avec une production extrêmement étudiée, s’appuyant sur le charmant filet de voix d’Irini Alexia, qui, avec un timbre très proche de celui de Mélanie Mau (la précédente vocaliste du groupe), essaie d’insuffler un peu de fantaisie dans son chant, au prix de quelques tics vocaux ('Dear Maro') qui sont plus le lot d’une certaine variété que du goût des progueux, ou même au prix d’un surjeu ('Who’s Master') pas forcément réussi. Vers la fin, le minimalisme finit par crisper, tombant dans l’affectation : en définitive le propos finit par paraître très cérébral et très peu émotionnel à force d’artificialité ('Underground', 'Nine'). Le dernier titre est assez représentatif, sorte de Vangelis moderne présentant le même ascétisme dans les lignes musicales, avec beaucoup de soin dans la production pour "enrichir" la forme.
La recherche de mouvement de Frequency Drift aura donc fait long feu : en oubliant de creuser la veine mélodique qui avait fait merveille dans "Over", à force de composer plus du son que de la musique, le groupe ne donne que des morceaux sans grande consistance - mais qui sonnent très agréablement - et les instrumentaux apparaissent bien ténus ; celui de 'Sleep Paralysis' est une escroquerie musicale de très peu de notes, qui joue sur les ambiances sans réellement en installer une car le propos tourne trop en rond pour captiver.
Après la désillusion de "Last", "Letters to Maro" enfonce le clou. Un album qui privilégie la forme par rapport au fond ne peut être qu’un produit extrêmement périssable, aussi joliment présenté soit-il…