Ils ont tout fait pour éviter le coup marketing. Et ils ont réussi. Il fallait surtout éviter le parallèle avec Les Insus. Reformer Trust en faisant table rase des moult engueulades, réconciliations et embrouilles judiciaires pas très glorieuses est une chose. Tricher avec son public en est une autre, que les deux vieux potes ne pouvaient pas se permettre.
Alors après un an de tournée dans des petites salles de France pour renouer avec les fans et pour célébrer quarante ans d’une carrière mouvementée et d’une amitié qui ne l’est pas moins, Bernie Bonvoisin et Norbert "Nono" Krief ont décidé de rompre avec la nostalgie de leur passé glorieux et de composer un nouvel album, dix ans après "13 à Table". Si le pari est audacieux, la réalisation de l’album l’est tout autant. Trust sera toujours un groupe à part sur la scène rock hexagonale et ce n’est pas à soixante ans passés que Bernie et Nono vont rentrer dans le rang. De fait "Dans Le Même Sang" est un album enregistré en trois jours, à l’ancienne et en live, dans la salle des fêtes de Saint-Ciers-Sur-Gironde. Aucun overdub, aucun effet de manche. Juste l’énergie brute d’un groupe de rock et le talent d’ingénieur du son de Mike Fraser, responsable du son d’AC/DC et de Metallica entre autres.
"Dans Le Même Sang" est un retour aux sources du hard rock et du hard blues, courants fondateurs de la musique de Trust. Soutenue par la section rythmique efficace de deux anciens membres du combo, David Jacob et Ismalia Diop, et d’un petit nouveau, Christian Dupuy à la batterie, la guitare de Nono, mixée très en avant, multiplie les riffs efficaces et velus dont seuls sont capables les guitaristes qui ont grandi avec Malcolm Young (‘Démocrassie’, ‘Où Sont Passés Les Anges’, ‘Dans Le Même Sang’). Même si Bernie n’a rien perdu de son énergie punk (‘F-Haine’), le temps a fait son œuvre et sa voix a gagné en profondeur et en chaleur, parfois au détriment de la puissance passée (‘L’exterminateur’). Mais la grande nouveauté est l’apport de trois choristes dont les interventions magnifient la plupart des refrains (‘Déjà Servi’, ‘Le Gouvernement Comme Il Respire’) et confèrent à la musique du combo une couleur gospel inédite du plus bel effet (‘Christique’, 'Demande A Ton Père, Demande A Ta Mère').
La cohésion du groupe fait plaisir à entendre et est symbolisée dès l’entame de l’album par le morceau ‘Ni Dieu Ni Maître’, à la fois clin d’œil au titre de l’album de la discorde entre Bernie et Nono en 2000 et à la chanson anarchiste de Léo Ferré. Car Trust est bien l’héritier du mouvement libertaire et protestataire des années soixante. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas uniquement une coïncidence si l’album paraît pour la commémoration du cinquantième anniversaire du mouvement du 22 mars 1968. Même si aujourd’hui Bernie vomit l’héritage politique des soixante-huitards (‘Fils de Pute, Tête de Liste’, ‘Démocrassie’, ‘Le Gouvernement Comme Il Respire’), il lui reste la colère, la rage et une bonne dose de révolte. Démago ? Bien sûr que oui. Mais après tout, c’est aussi pour ça que nous aimons Trust. Et d’ailleurs Bernie s’en fout et le chante dans une reprise bossa nova du ‘J’m’en Fous Pas Mal’ d’Edith Piaf, génialement transposé à la guitare par Nono et qui surprendra plus d’un auditeur.
"Dans Le Même Sang" est plus qu’un album des retrouvailles. C’est l’opus que plus personne n’attendait d’un groupe qui a encore des choses à dire et qui montre une surprenante cohésion et une envie communicative et généreuse de jouer de la musique frontalement et sans tricher. Une telle fraîcheur d’inspiration après tant d’années d’errance est une très bonne nouvelle pour le rock français.