Déjà, il y a ce nom, Varsovie, dur et froid, évoquant des sonorités sévères et militaires. Il y a ces visuels à l'esthétique très recherchée qu'incarne toujours une trouble beauté féminine. Il y a cette hydre à deux têtes, celles de Grégory Catherina (chant et guitare) et de Arnault Destal (batterie). Il y a enfin cet art crépusculaire qui erre quelque part entre post-punk et dark rock.
Evoluant a priori à des années lumière de la musique chère à notre cœur, le duo grenoblois n'est pourtant pas inconnu des amateurs de metal. De fait, des connexions existent entre ces deux pôles moins antinomiques qu'il n'y paraît. Forbidden Site dont il faisait partie, le label Those Opposed Records qui a publié "L'heure et la trajectoire" (2014), alliance grâce à laquelle nous sommes nombreux à l'avoir découvert, le studio Drudenhaus où il enregistre, les noms de Benoit Roux qui avant de produire ce nouvel album, a bossé avec Alcest et celui de Dehn Sora, graphiste (et musicien) réputé, témoignent ainsi de cette passerelle.
Cet univers à la fois sombre et décadent, mélancolique et bitumeux que tissent des lourdes guitares fardées de fer ne peut que séduire ceux qui cherchent à s'abîmer dans les bras d'une musique écrite à l'encre noire du désespoir. Le chant, chargé de déclamer des textes en français nourris de symbolisme, peut dérouter mais il est un puissant vecteur d'émotions. Noir Désir ou Joy Division sont des références qui planent sur les créations du tandem qui a cependant su très vite se forger sa propre identité. "Coups et blessures" se montre particulièrement révélateur de ce style sombrement hypnotique.
Partition furieusement rock et paroles expressives se fondent en un art total(itaire) que drape un écrin d'une étrange beauté. Que regarde cette femme, la main posée sur une rampe d'escalier, la silhouette découpée par une faible lumière ? A quoi ou à qui pense-t-elle ? En la suivant, nous pénétrons dans un récit pétri d'images et de symboles duquel toute trace de gaieté sinon d'espoir est éconduite. L'enrobage est dur ('Revers de l'aube'), l'intérieur vrillé de guitares suintant une glaciale urbanité ('Killing Anna, 'Le lac'').
Erodé par une marée noire de sentiments et de pensées, ce troisième album libère des fragrances entêtantes et poétiques, ouvrant les vannes d'un dark rock tour à tour croûté de douleurs ('Discipline') mais toujours obsédant, témoin l'instrumental 'Chevaux échappés' et ses lignes déglinguées. Si l'ensemble forme un bloc indivisible, un titre s'en détache, 'Va dire à Sparte' qui étire presque huit minutes d'un périple tranchant et néanmoins embrumé d'un éther atmosphérique dont le tempo s'emballe lors d'une dernière partie plus désespérée encore.
Pesant et hanté, "Coups et blessures" inocule son trouble venin, laissant dans la mémoire de sombres et épais sédiments. Ce faisant, il souligne cette signature désenchantée écrite à l'anthracite.