Derrière le nom passe-partout de Bertier (on a tous eu un camarade du même nom que notre professeur se plaisait à appeler au tableau) se cache un certain Pierre Dungen, chanteur et compositeur belge. Grand amateur de castings improbables, il a réuni autour de lui Yan Péchin (guitariste entre autres d'Hubert-Félix Thiéfaine), le violoncelliste Jean-Francois Assy (Arno) et la chanteuse Lara Herbinia (en réalité une photographe convaincue de se placer derrière le micro). Pour son second album, Bertier nous invite à une promenade en compagnie d'un drôle de couple : "Anna et Roby".
D'entrée de jeu, l'équipe menée par son capitaine Pierre Dungen met en avant ses consignes artistiques : la dispersion sonore. Bien malin celui qui pourra apposer une étiquette sur cet étrange ‘Anna et Roby’. Au lieu de se perdre en conjectures, la voix de Lara Herbinia vient appeler son antagoniste et nous offrir un passe-partout pour ce voyage où l'auditeur devra se délester de ces stériles comparaisons. De la pop ? Du rock indie ? De la musique du monde ? Toutes les cartes sont à nouveau battues dès la prochaine piste. Un piano grave ouvre le titre éponyme qui réunit nos deux héros, la guitare entrainante, les voix croisées masculines et féminines, les touches discrètes du violon et une mélancolie à fleur de peau nous prouvent que nous ne sommes guère dans de la sucrerie commerciale. La batterie et le violon se sont mis en tête de nous envoyer en l'air. 'Star System'avec son violon pesant nous évoque les compatriotes d'Univers Zero. Alors que 'L'oiseau Lyre' semble façonné de la même terre glaise, les accords boueux d’une guitare bluesy et les trompettes viennent perturber un voyage qui ne laisse jamais indifférent. Deux titres se détachent de cette mer sonore : il s’agit de 'Les Filles de l'Air', avec sa mandoline et ses rythmiques techno et 'Anatolie', avec ses rythmiques hypnotiques, ses percussions orientalisantes, le saxophone aussi sain d'esprit que les rires de la choriste et cette guitare bluesy qui semble ricaner à l'arrière-plan.
L'album est un concept-album qui conte les amours débutantes d’un monte-en-l’air et d’une chasseuse de papillons. Les paroles écrites à l'encre de menthe enivrent l'auditeur. Un flegme de dandy un peu maudit, un peu narquois, voilà ce que la voix de Pierre Dungen nous fait ressentir. Les intonations à la Serge Gainsbourg, Benjamin Biolay ou encore Arthur H. ne sont pas loin. On a envie de le suivre, de croire en lui et de le voir serrer de près Anna, mais on sent que l'aventure est promise soit à l'échec, soit à la résignation d'un haussement d’épaules mortel. ‘Anna’ est pesant, 'Roby' est orageux, il y a de l'eau dans le gaz. Les deux voix séparées se retrouvent exsangues sur ‘L'ange Décu’, comme si tout était joué d'avance, à l'instar de ‘Soda Light’ qui mêle tragique et absurde (ou humour belge). La voix féminine déformée de ‘Derrière Le Tableau’ offre une mélopée inquiétante qui est adoucie par les violons. Pierre Dungen prouve ainsi qu'il n'est pas qu'un excellent auteur mais qu'il est bien capable de nous donner envie de danser au bord du gouffre. Et ‘Dernier Domicile Connu’, l'ultime piste, accomplit un atterrissage climatisé. On pourra toutefois mettre un bémol en regrettant que Bertier n’ait pas poussé plus loin ses jeux sonores.
Accompagné d' "Anna et de Roby", l'auditeur pénètre dans un jardin où poussent des fleurs languissantes. La richesse sonore de l’album, la patte d'un Pierre Dungen, les textes mélancoliques, les ambiances intimistes et sensuelles font de cet écrin un spleen délicat dans lequel les auditeurs viendront tremper leurs oreilles. Un album à écouter d'une traite pour pouvoir se fondre entièrement dans ce voyage particulier.