Little Bob, bon pied bon œil, ne compte toujours pas faire son trou à l´hospice. Trois ans après "Howling", pour ses 73 ans, Little Bob sort son troisième album en compagnie de ses inséparables Bastards. Le chiffre 3 l'obsède-t-il ? Le Little Bob nouveau s´offre à l´image de sa pochette, dos au soleil, savourant la caresse brûlante de ses rayons. Le meilleur serait donc encore à venir ?
Comme toujours avec notre bluesman préféré, les entrées en matière sont loin d´être négligées. Nous n´aurons pas droit à une grandiloquente introduction avec force orchestre symphonique mais, à peine embarqué dans ´Dumb Factory´, l´auditeur, qui aura de justesse attaché sa ceinture, verra son chauffeur, le sourire malicieux, démarrer sur les chapeaux de roue pour un road-album endiablé. Les paysages traversés, arides et poussiéreux, se montreront à la hauteur du voyage : ´You Gotta Jump´, redoutable ballade à la sauce blues avec des couplets mid-tempo pleins de tensions et des refrains plus étincelants, ´She´s Got It´, son harmonica ensoleillé et ses cris de jubilation, ou encore ´Shooting Angels In The Sky´ et son tempo dramatique. La tempête s´annonce sur ´Mean Things Happening In This World´ qui traverse un espace orageux pour notre plus grand bonheur avec un électrique solo de guitare. Little Bob n'a pas renoncé à hurler avec les loups, après les politiciens sur le précédent album c´est notre monde malade qu´il cloue à son pilori personnel (´Dumb Factory´, ´Mean Things Happening To This World´) tout en se réservant quelques hommages (le remuant ´Ace Of Spade´ dédié à Lemmy Kilmister, avec lequel il a joué) ou quelques professions de foi (´So Deep In Me´ qui prouve que son cœur palpite de blues).
L´intensité de cette aventure ne faiblira pas et l´auditeur sera toujours surpris par la variété de sa géographie rythmique. Little Bob est un animal indomptable, un sympathique désaxé qui ne laisserait aucun costard-cravate tenter de lui apprendre quelques tours (ou pire, à faire le beau). Si l´on s´attend à l´évidence à un son bluesy, le rockeur havrais prouve qu´il ne saurait s´enfermer dans une cellule capitonnée de blues. ´Mama´s Prayer´, très rock ´n´ roll, ´Blake In Blues´ avec son orgue ronronnant, le hard 'Rant 'n' Roll' et quelques influences honky tonk sur ´Pebble Beach´, annoncent un caractère chatoyant. Le fantomatique ´I´m Watching You´, sommet de l´album, se montrera plus évanescent, d´abord plus en retenue, avant d´éclater, scandaleux. On regrettera toutefois l´absence d´une habituelle reprise de Captain Beefheart - en anticipant notre légitime attente, Little Bob lui a pourtant cloué les ailes.
L´auditeur en quête de voyage et d´absolu ne saurait faire l´impasse sur cette nouvelle aventure. Little Bob ne s´assagit pas avec l´âge mais comme un bon vin normand (ou un cidre), sa saveur s´enrichit avec les ans. Il est scandaleux qu´en 2018 un artiste de cette trempe soit ignoré des médias, non pas en raison d´une personnalité sulfureuse mais pour des choix de marketing discutables. Comme si Little Bob était moins à même d´incendier un plateau qu´une énième et insipide chanteuse de karaoké. A noter que 2018 est une année littlebobesque avec la réédition du grand classique de Little Bob Story "Lost Territories", et un live fleuve "High Times 76-88" qui nous prouve que Don Roberto Piazza est bien le parrain d´un blues rock made in Le Havre.