Entre "Opus Eponymous" sorti en 2010 et "Meliora" en 2015, l’ascension de Ghost a été fulgurante. Parallèlement à sa notoriété grandissante, le groupe a connu un schisme avec les départs de plusieurs Nameless Ghouls originels considérant ne pas être estimés à leur juste valeur (comprendre financièrement) au sein du clergé emmené par Papa Emeritus. Ce même Papa Emeritus qui a été amené à confirmer son identité après des années de rumeurs, ayant révélé que le personnage masqué était Tobias Forge. Pour cette nouvelle messe, Ghost fait un bond dans le temps pour se fixer au moyen-âge et faire de cette période réputée pour ses épidémies et son obscurantisme religieux le thème de son nouvel évangile. Celui-ci ne sera pas selon Papa Emeritus puisque sa lignée s’est brutalement interrompue pour laisser la place au Cardinal Copia, prêcheur d’un nouveau culte noir intitulé "Prequelle".
Le quatrième album de Ghost a beau s’appeler "Prequelle", il marque sa filiation avec son prédécesseur dès la courte introduction ‘Ashes’ qui place les éléments d'un décor moyenâgeux avec une comptine folklorique en empruntant la thématique du titre ‘Spoksonat’ de "Meliora". S'inscrivant dans son style personnel qu’il n’a cessé de peaufiner depuis huit ans, l’homme d’église signe certains de ses titres les plus percutants avec une intelligence de composition et une efficacité maximale alliant riffs heavy, ambiances vintage et psychédéliques et mélodies pop traduits dans un spectacle aux fortes dimensions théâtrales et ésotériques. Le cardinal gravit un échelon dans le génie musical et multiplie les hits comme son patron les pains bénis avec des sucreries mélodiques qui fondent sous la langue plus vite qu'une hostie comme ‘Rats’, au riff qu'on croirait écrit par Randy Rhoads, ‘Faith’ à la rythmique pachydermique et la magnifique ballade ‘See The Light’ qui offre un refrain puissant et délicat qui résonnera longtemps dans les crânes.
En cassant la lignée des Papa Emeritus, le Cardinal Copia a aussi l’ambition de montrer un autre visage de sa confrérie de fidèles masqués et à plusieurs reprises propose d’audacieuses options harmoniques comme avec le dansant ‘Dance Macabre’ aux savoureuses sonorités disco rétro des 80’s ou la sublime ballade ‘Pro Memoria’, sans doute le sommet du disque, riche de subtiles orchestrations, d’un refrain fédérateur et d’une montée émotionnelle irrésistible. Si "Prequelle" est globalement le disque le plus accessible de la carrière de Ghost, la flamme de l’exigence créative n’est pas pour autant éteinte et brille particulièrement à l’occasion des deux instrumentaux épiques que sont l’entraînant ‘Miasma’ qui finit en apothéose par une orgie de soli de guitares et de saxophone et le pesant ‘Helvetesfonser’ aux évocations cinématographiques reprenant judicieusement le thème de ‘Pro Memoria’ et qui rappelle que Ghost a souvent puisé son inspiration dans le rock progressif des années 70. Sans les légers fléchissements finaux que sont la dynamique ‘Witch Image’ et la blackfieldienne oraison finale à l'intense charge symbolique ‘Life Eternal’ qui, sans contester leur réelle qualité, paraissent presque ternes harmoniquement comparées au degré d'excellence du reste de l'album, "Prequelle" aurait pu prétendre au statut d’album ultime de Ghost.
Ghost incarne le mélange baroque des valeurs de notre présent en proposant l'extravagance d'une pop-rock à la fois moderne, vintage et festive avec une approche mélodique indéniable, une connotation religieuse et occulte hyper-pensée et évolutive comme une campagne marketing réduite à sa dimension iconique et spectaculaire, et un goût pour le morbide propre à notre époque nihiliste. Là réside probablement l’explication de l’ampleur de son succès. Mais on ne peut que se prosterner devant ce "Prequelle" limpide dans sa production qui montre un Ghost avançant dans le sens d’une musique encore plus abordable, moins heavy car les guitares sont concurrencées par toutes sortes de claviers, et toujours plus attrayante mélodiquement. Sans renier son goût pour la complexité, qui trouve pertinemment sa place dans le disque, ce cérémonial évangéliste est bâti pour la conversion du plus grand nombre.