Laurent Bàn, ce nom ne vous dit peut être rien, mais cet artiste a un CV plus que fourni notamment dans l'univers des comédies musicales parmi lesquelles "Le Petit Prince", "Zorro", "Mozart, l'Opéra Rock" et dernièrement "Priscilla, Folle du Désert". L'artiste aux multiples talents a déjà été pris de velléités solo en tentant cette aventure dans un album sorti en 2005, "Anté", et éprouvé le désir de collaborations extérieures notamment dans le dernier album des Blinding Sparks. C'est donc près de 13 ans plus tard que la nouvelle offrande individuelle est proposée. Fort de ses expériences dans un style mêlant chant et comédie, l'auditeur est en droit d'attendre un album expressif, théâtral et peut-être grandiloquent.
En lisant les titres qui composent "Prima", il est aisé de voir qu'il contient à la fois des titres personnels dans le sens originel du terme mais aussi des reprises allant de Radiohead à David Guetta en passant par Jacques Brel, faisant ainsi de cet album un objet bicéphale, sentiment intensifié par le fait qu'il contient autant de titres chantés en français qu'en anglais. Tant d’éclectisme peut tout à la fois rebuter comme susciter la curiosité. Et c'est dans cette dernière optique que ces lignes abordent la chronique en s'attachant d'abord aux compositions originales.
A leur écoute, le ressenti est celui d'un artiste à fleur de peau, complexe et presque tourmenté, comme si l'écriture de ces chansons était pour lui une sorte d'exutoire, voire une catharsis. La sensibilité est accrue par la nature des compositions le plus souvent mélancoliques à grand renfort de piano et de violons et rehaussées par l’interprétation très habitée de Laurent.
L'album commence telle une comédie musicale avec 'Terre Mère' à la construction presque progressive toute contenue. Le titre suivant pourrait rappeler A-Ha par certaines intonations proches de Morten Harket, mais sa structure est plus ampoulée que les compositions des Norvégiens. Quelques paroles naïves parsèment les titres comme une résonance à l'enfance et aux terribles douleurs dont elle peut parfois être parcourue (le touchant 'Le Rêve de Rachel'). D'autres titres revêtent des habits plus rock avec le parlé-chanté 'Tu Me Mets A Mort' surprenant avec sa guitare incisive. Parfois, Laurent se laisse aller jusqu'à l'excès dans le très broadwayen 'Gethsemane' où on l'imagine jouer sur scène une tragédie shakespearienne, faisant de ce titre le plus théâtral de l'album où il étale ses talents de chanteur en montant de tessiture de façon assez bluffante. Enfin, comment ne pas se souvenir de l'ovni La Fille d'Octobre avec l'album "Hurle-Vent" dans le titre 'L'enfant Géant' tant il rappelle l'ambiance de ce groupe.
Cette partie personnelle est plutôt convaincante car Laurent Bàn met du cœur à son ouvrage, que ce soit dans la façon d'affronter le chant mettant très en avant l'instrument vocal mais aussi d'un point de vue musical assez varié et gonflé. Mais qu'en est-il des reprises de cet album ying et yang ?
Pour ses reprises, Laurent souffle le chaud et le froid. Le froid car certaines relectures sont trop proches des versions originales pour apporter quelque chose de vraiment neuf comme 'L'assassymphonie', ou bien en jouant le plus souvent sur la recette éculée de les rendre plus symphoniques comme 'Creep' de Radiohead. Parfois ce style est plus approprié notamment dans 'La Chanson des Vieux Amants' de Jacques Brel, magnifiquement interprétée, et à laquelle la dimension symphonique apporte un surplus d'émotion. A contrario, il souffle le chaud avec 'Dangerous' qui se voit presque transformé en un générique d'un James Bond ou le 'What's Up' des Four Non Blond dans une version exempte de rock et plus sensible, peut-être plus féminine.
Avec "Prima", Laurent Bàn démontre qu'il est un artiste à part entière avec son univers singulier, hypersensible, touchant avec son côté trop excessif et généreux. En osant franchir à nouveau le pas de l'album solo, bien lui en prend puisqu'il démontre l'étendue de ses talents d'écriture et d'interprète à l'univers personnel, à des années-lumière de ses confrères, malgré quelques maladresses.