Après avoir enfanté trois méfaits fulgurants, qui l'ont placé parmi les ténors du black metal ukrainien aux côtés de Khors ou Nokturnal Mortum, Ulvegr a déçu l'an passé avec "Titahion Kaos Manifest", certes toujours bouillonnant de haine mais vierge de cette froideur sinistre qui drapait "Where The Icecold Blood Storms", "Arctogaia" et "The Call of Glacial Emptiness". En délaissant les rudes montagnes transylvaniennes pour un concept basé sur la mythologie orientale, c'est un peu comme si Odalv (batterie) et Helg (tout le reste) avaient perdu la part hivernale et si précieuse de leur identité malgré l'évidente qualité technique de ce quatrième méfait.
Même si le tandem nous a toujours habitués à une régularité quasi métronomique, le fait qu'il soit déjà de retour avec un nouvel opus n'était pas pour nous rassurer, pouvant laisser craindre l'accouchement précipité d'un œuvre bâclée ou dans une veine identique à celle de sa devancière. En réalité, il n'en est rien, bien au contraire. S'il reste pourtant, dans sa noirceur brute et sans afféterie, quelque chose de "Titahion Kaos Manifest", "Vargkult" renoue avec la réussite glaciale des premiers albums. Mieux, par sa radicalité et son absence de compromis, il semble répondre au "Sorrow" de Hate Forest avec lequel il partage, outre cette brutalité froide, une même intensité fielleuse qui jamais ne débande tout du long de cette (petite) demi-heure d'agression en règle.
Dressant une hampe lourde que sillonnent des nervures desquelles suinte un fluide venimeux, Ulvegr martèle à la vitesse d'un cheval au galop un art noir dont la vicieuse vélocité se conjugue à des ambiances gelées et nocturnes. Emportées par le flot d'une batterie torrentueuse, ces saillies sont vrillées par des guitares aux allures de scalpel labourant la peau, reléguant presque le chant écorché et grumeleux au rang d'accessoire, même si celui-ci procède également de cette bestialité neigeuse. Acérés et entêtants, ces riffs font souffler un blizzard aussi lugubre qu'implacable, évoquant des images de mort et de ruines.
Enchaînant sept titres en à peine vingt-huit minutes, "Vargkult" va très vite, ne laissant pas le temps à l'auditeur de se reposer. Poussé par un tempo digne d'un Panzer moissonnant les cadavres, l'ensemble paraît ne former qu'un seul bloc tant ces morceaux finissent par se confondre les uns les autres en un magma fielleux qui a quelque chose d'une semence funèbre et turbulente. Jamais les Ukrainiens n'ont fait preuve d'une telle agressivité primaire, qui culmine lors d'un 'Remember The Blood' déchaîné, manière de conclure le menu sur la note la plus radicale possible. Ce faisant, ils réussissent à capturer cette essence evil, cet esprit d'un mal séculaire, qui sont l'apanage du black metal lorsqu'il s'élance dans toute sa pureté mortifère.
Les compositions les plus épiques, pourtant si puissamment évocatrices, qui clôturaient les premières offrandes, ont disparu, remplacées par des concentrés de haine froide. Si nous pouvions regretter cette absence dont témoignait déjà "Titahion Kaos Manifest", tel n'est pas le cas de "Vargkult" qui déborde d'une force obscure et créatrice telle qu'on n'en voudra pas aux Ukrainiens d'avoir déserté ces terres plus atmosphériques.