A une époque où règnent le son standardisé et une originalité en jachère, il paraît essentiel de souligner l'audace de Chaos Echoes, démiurge d'un art qui n'appartient qu'à lui contre lequel les étiquettes, les définitions se fracassent, échouant à l'enfermer dans une case précise. Est-ce du doom ? Que nenni. Du death ? Pas davantage. Du black ? Non plus. Du progressif ? Pourquoi pas...
Avant-gardistes, les Français érigent une architecture qui brasse pourtant un peu tous ces courants sans appartenir à aucun d'entre eux. Leur nom, qui évoque quelque chose d'à la fois désordonné et de sensitif est peut-être ce qui résume le mieux cette matière dont la richesse fourmillante n'a d'égale que la difficulté à l'appréhender. Né en 2011 des cendres de Bloody Sign, le groupe a frappé un grand coup quatre ans plus tard avec "Transcient". Les années qui ont suivi lui ont servi à affiner son identité, pétrissant à la manière d'un sculpteur ce metal extrême protéiforme.
De fait, s'il porte, inscrit dans sa chair, une signature déjà fortement reconnaissable, "Mouvement" se distingue de son prédécesseur par sa volonté de se montrer plus direct sans pour autant rogner cette dimension puissamment immersive ni altérer cette approche aventureuse sinon expérimentale qui (re)pousse ses géniteurs aux confins d'une musique aussi déstructurée que dissonante.
Malgré des voix hallucinées ou hantées comme échappées du chaos, l'œuvre déroule une topographie essentiellement instrumentale en un maelström vicié et accrocheur tout ensemble, labyrinthe étouffant que lacèrent les saillies compulsives de musiciens qui font corps. Guitares accordées plus bas que terre aux allures de foreuses oppressantes et rythmique pulsative s'accouplent en un pandémonium orgiaque. De leurs monstrueux ébats s'échappe une coulée épaisse et grumeleuse charriant une noirceur organique qui s'engouffre à travers les replis ténébreux de cavités froides et touffues.
Denses et déglingués, ces morceaux ne sont parfois pas sans évoquer le King Crimson le plus azimuté, comme le suggère 'As An Embraceable Magma Leading T' qui ne dénoterait au milieu d'un "The Power To Believe". Chaos Echoes partage avec le dinosaure britannique cette même froideur désincarnée qui ne signifie pas absence d'émotions, lesquelles ne sont jamais sacrifiées sur l'autel d'une virtuosité pourtant échevelée. Une espèce de beauté ravagée suinte ainsi de cette roche en fusion ('Shine On, Obsidian ! Ego ! Ego ! Ech') cependant qu'une tristesse lointaine nimbe les accords squelettiques ou les effluves ritualistes et oppressantes du terminal 'Alas ! Here Is The Feebles Assent', longue plainte aux confins d'une incantation chaotique qui semble ne conduire nulle part.
Ses six pistes s'enchaînant les unes aux autres en un défilé volcanique, "Mouvement" se doit d'être absorbé dans son entièreté qui grouille d'une tension larvée, seule manière d'en goûter le suc enfoui dans les profondeurs telluriques de son intimité. Même si les Français ne facilitent pas la pénétration de leur art, l'écoute de "Mouvement" se fait limpide, exerçant une fascination qui confine à une forme d'extase hypnotique.