Son origine géographique - il vient du Danemark - explique peut-être pourquoi Nortt a toujours été un projet à part au sein de la chapelle noire d'obédience dépressive, ruminant son mal-être à travers des paysages glaciaux et morbides. S'il se montre proche du funeral doom, témoignant en cela de la frontière poreuse qui sépare ce genre du black metal, la manière dont il exprime sa solitude et sa décrépitude se révèle très personnelle, à la fois putride et spectrale, mortuaire et sépulcrale cependant que son minimalisme désincarné le rapproche de l'ambient.
Comme souvent, Nortt se confond avec son unique maître de cérémonie qui lui a donné son nom. Cette créature de la nuit se charge de tout. D'où cette impression de profond isolement et cette froide épure qui caractérisent ces sinistres et terreuses ruminations. Après trois processions funéraires gravées entre 2003 ("Gudsforladt") et 2007 ("Galgenfrist"), sans compter le split qui l'unissait à Xasthur, l'homme avait disparu depuis dix ans, enfermé dans un caveau dont on croyait qu'il ne s'échapperait pas. Alors qu'on ne l'espérait donc plus, le Danois effectue un retour fortement attendu par tous les suicidaires que nous sommes, toujours en quête d'une nouvelle corde à glisser autour du cou.
Exhalé de limbes brumeuses, "Endeligt" ne devrait pas surprendre et encore moins décevoir les fidèles de cette silhouette aussi culte que mystérieuse. On y puise à nouveau ce funeral black doom livide qui se répand comme un linceul poissé d'une boue gelée. L'écouter revient à se laisser engourdir, happé par un halo fantomatique dont l'opacité le rend presque immatériel, insaisissable. Il a quelque chose d'une dérive funèbre et presque hypnotique tracée dans le sol marbré d'un espace perdu entre la vie et la mort. Lointains et informes, les gargouillis confèrent comme toujours à cette œuvre une dimension instrumentale dont les contours sont égrenés par ces lignes de guitares osseuses et les notes grêles d'un piano hanté.
Prétendre que "Endeligt" s'embourbe dans une lenteur catatonique tient du doux euphémisme tant le rythme y brille par son absence. Tout ici est une question d'atmosphères, de ressenti. De fait, plus que jamais cet art pétrifié erre quelque part aux confins d'un (dark) ambient post mortem et néanmoins éthéré qui le drape d'un éclat désolé. Du coup Nortt a gagné en beauté étouffée ce qu'il a quelque peu perdu en mortification insalubre. Détailler par le menu cette offrande macabre paraît vain tant ces plaintes funestes aux limites floues se fondent les unes dans les autres en un brouillard grésillant.
Plus brumeux et certainement moins funèbre que ses devanciers, "Endeligt" ouvre-t-il un nouveau chapitre pour le Danois ou bien est-il l'ultime râle d'un corps abandonné à la mort ?