Après trois albums salués autant par le public que la critique, Pat Benatar décide de prendre son destin en main. En effet, la plus polono-irlandaise des hardeuses américaines se passe la corde au cou avec son manager et guitariste, Neil Giraldo. Ce petit pas pour la femme occasionnera un grand pas sur sa musique. L'un des guitaristes, le fidèle Scott St Clair est viré au profit d'un claviériste. A l´image de la pochette, où la belle brunette, regard halluciné, crinière hirsute au vent et croisement de jambes toutefois lascif, est serrée dans sa camisole, ce renouveau matrimonial aura-t-il une incidence sur sa musique ?
Pat Benatar réussit à transmuter avec les efforts d´une alchimiste du son, pop et hard. La reprise d´une chanson allemande à la sauce Pat, ´Shadow of the Night´ avec son intro a cappella, où claviers et guitares cohabitent naturellement, est une ballade enchantée. Ce morceau donnera surement des idées à Belinda Carlisle. Le solo de guitare avec écho précède un riff plus enthousiaste et nous rappelle que le hard n´est pas aux abonnés absents. L'arrivée des claviers aurait pu faire craindre le pire, mais Charlie Giordano n´ a aucune raison de vouloir jouer les solistes détraqués. Ces synthétiseurs cohabitent en toute harmonie avec les guitares, tirant le son au plus près de la new wave britannique. Avec l´introduction musclée 'Tell It To Her' et son refrain enragé, ils ajoutent quelques touches mystérieuses à un ensemble bouillonnant, ou servent de rampe de lancement à la folie dévastatrice sur ´I´ll Do It´. Sur la curiosité ´Looking For A Stranger´, les claviers se changent en orgues psychédéliques pour amadouer la pompe à basse. Sur ´Little Too Late´ avec ses batteries tribales et ses rythmiques plus pop, les guitares se font rugueuses, contondantes, poisseuses.
Pat Benatar ne s´est donc pas assagie, son chant sur plusieurs octaves est loin d´être un lointain souvenir et les guitares transpirent toujours autant de suprématie. Sur le tube ´Anxiety´ aux refrains imparables, les guitares tournoyantes et la basse menaçante encadrent une voix d'écorchée vive, comme si la folie émanant des couplets ne pouvait plus être filtrée. Le solo de guitare est attendu mais conserve toute sa jouissance au fil des écoutes. 'The Victim' lancé à toute allure par une batterie survitaminée conduit la belle louve à hurler, d´une rage aussi magnétique que terrifiante (mais jusqu´où peut aller sa voix ?).
Toutefois, la belle indomptable sait également se montrer imprévisible. Le piano mélancolique sur fond de rugissements de guitare introduisent 'Fight It Out'. Pat Benatar use d´une voix cristalline proche de Kate Bush. On s'attend à entendre une ballade légèrement énergique à la façon de ´Shadows Of The Night´, mais nul ne pouvait prévoir ses hurlements enragés sur les refrains qui viennent contaminer une zone de confort. La guitare prend le relais avec un solo d'apparence boiteuse mais qui réussit sur 10 cordes un petit exercice de haute voltige. 'I Want Out' faussement calme, reproduit la même surprise avec ces refrains enragés. A ce petit jeu, c´est la petite perle, l'expérimental 'Silent Partner', qui se démarque. Véritable création de studio avec intro mystérieuse et démultiplication des voix, le morceau passe la cinquième (voire la sixième vitesse) pour nous faire franchir le mur du son.
A nouveau le succès est au rendez-vous, l´album sera un succès mondial, atteignant la 4ème place du Billboard. Le clip d' ´Anxiety (Get Nervous)´ passera en boucle sur MTV et illustrera de façon frissonnante les angoisses d´une trentenaire chez son dentiste ! ´Shadows Of The Night´, moins tourmenté, lui vaudra son troisième Grammy pour la meilleure performance d´une rockeuse. Pat Benatar concilie commercial et artistique sans jamais céder aux sirènes de la facilité. Un album plein de bruit et de fureur mais dont l´écoute vous conduira au septième gratte-ciel.