Karcius est originaire du Canada, un pays qui fourmille de groupes de rock progressif parmi lesquels Innerspace, Mystery, Jelly Fiche et bien d'autres encore. Si les uns s'inscrivent dans un rock progressif à tendance néo composé aussi d'éléments AOR ou de rock américain, Karcius a fait le choix d'un progressif tentaculaire en greffant à sa base des touches de jazz et de metal qui rendent son écoute irrémédiablement plus complexe.
De là à y voir une filiation avec les Anglais de Porcupine Tree post "In Abstentia", toujours en hibernation, il n'y a qu'un pas qu'il ne faut pas franchir tant le groupe ne manque pas d'une personnalité construite au fil de ses quatre précédents albums. Tout l'art des Canadiens réside en une musique assez dense, extrêmement travaillée dans ses ambiances tout en ne perdant pas de vue ce qui fait l'essence du progressif, c'est à dire proposer un voyage envoûtant entre complexité et accessibilité.
A l'image de la pochette glaçante, l'atmosphère qui se dégage de cet album n'est pas des plus joyeuses. L'ensemble est sombre, mortifère, oppressant et, chose à relever, le jazz qui coulait dans les veines du groupe depuis des années est un peu moins présent. Karcius, sans renier ses racines, évolue et adapte sa musique au concept proposé. Car dans "The Fold", il aborde le thème de la démence qui pourrait dévier notre perception de la réalité qui nous entoure : "Au cœur de chaque être vivant réside un pouvoir qui se cache au plus
profond de notre esprit. Il peut altérer les pensées, rendre inconscient
et se nourrir de souvenirs". C'est tout à l'honneur du groupe de faire évoluer sa musique en accentuant certains de ses aspects qui étaient plus ou moins présents dans sa discographie passée.
Prenons l'exemple de 'Absence Of Light' qui ouvre "The Fold" qui est symptomatique de l'album. La construction est tout bonnement bien pensée. La longue introduction de près de quatre minutes atmosphériques et floydiennes permet de mettre en place l'ambiance décrite ci-dessus. Les nappes de clavier enrobent de jolis solos de guitares électriques planantes à souhait qui permettent au titre de monter tout doucement en puissance jusqu'à l'arrivée du chant. La musique se fait alors plus acoustique puis se densifie vers des ambiances metal et puissantes dans la dernière partie. On ne peut pas faire plus prog. 'Something' emboîte le pas de ce premier titre tout en étant plus subtil, avec une mélodie plus coulée et limpide bonifiée par son refrain entêtant jusqu'à son explosion finale beaucoup plus rageuse.
Le travail sur les guitares est impressionnant de maîtrise et de feeling entre les solos inspirés et des riffs metalliques, saturés et gras. La rythmique n'est pas laissée de côté avec notamment le tempo presque oriental hypnotique qui emballe 'Hardwire' souligné par une voix claire qui devient caverneuse et inquiétante plus le titre avance. Un mot sur 'Goodbye', composition la plus old school de "The Fold" avec ses arpèges de guitare sèche qui habillent à merveille sa première partie vaporeuse à la Genesis, qui rappellent aussi "The Raven That Refuse To Sing" ('Watchmaker') de Steven Wilson, qui s'effacent ensuite pour laisser place à un pont instrumental légèrement jazzy et chaloupé. Ce morceau est sans aucun doute le sommet de l'album.
Karcius confirme donc avec "The Fold" qu'il compte sur la scène progressive mondiale et livre un album riche, exigent, sombre, obscur comme une nuit froide dans la forêt boréale canadienne. Avec son rock tentaculaire, le groupe livre un parcours musical impressionnant qui pourra plaire au plus grand nombre, auditeurs novices comme avertis.