Derrière le nom de Valfeu se cache un jeune musicien et producteur du nom d'Antoine Aurenche. Son principal fait d'armes est un projet alléchant sous le nom d'Operation of The Sun, un duo électro-acoustique avec la revenante Desireless. Après avoir arpenté toute l'Europe en compagnie de l'inoubliable interprète de 'John' ou 'Voyage, Voyage', Antoine retrouve la solitude de son cabinet d'études et caresse l'idée de voler de ses propres ailes. Le jeune homme au regard de velours a choisi un défi de taille : dépoussiérer le mythe de Faust, celui qui a offert son âme au diable en échange de plaisirs matériels.
On pourrait d'ores et déjà qualifier ce programme comme évident voire attendu. Le ''Faust'' de Goethe a inspiré des opéras (celui de Gounod rendu célèbre par l'interprétation passionnée et sensible de la Castafiore), des films, des romans, des pièces de théâtre et même le patronyme d'un groupe de krautrock allemand ! Ainsi, Valfeu avançait en terrain miné : quel grain de sel pouvait-il ajouter dans une telle mer d'abondance ? Drapé dans sa cape magique, le jeune homme brandit une carte dont on aurait pu deviner la couleur en raison de son pedigree : son Faust sera une symphonie electro-rock. Mais n'y voyez pas l'influence maléfique d'un David Guetta, Valfeu est un musicien accompli qui évoque un son contemporain tout en accueillant ses influences classiques (Beethoven, Purcell sont revendiquées mais on aurait pu ajouter Nobuo Uematsu) et pop-rock (on peut penser parfois à Mylène Farmer).
'Renaissance' nous place directement au plus profond du sujet et pétrit la pâte du son de l'album. Les voix semblent flotter dans les airs, les chœurs sont fantômes, le refrain anthologique et la poudre parle. Valfeu cherche à nous placer dans la tête de son personnage hanté par les voix des autres protagonistes qui interviennent. La musique révèle ces paysages intérieurs tourmentés : 'Faust' avec ces claviers brumeux d'où émerge une rythmique aux rouages rouillés qui se tordent pour devenir frénétiques (rappelant lointainement 'Smalltown Boy' de Bronski Beat), 'Dieu' avec son tapis de velours déployé par Music for the Spaces, 'Oeuvre au Rouge', lugubre et mélancolique ballade dépouillée au piano et surtout les deux ascensions 'Nuit de Sabbat' avec son solo de guitare saturée lancé dans les airs et le solennel 'Jugement' final qui se joue des métissages : une cérémonie symphonique orchestrée par des rythmiques hip-hop placées sous la menace des arpèges de guitare électrique. Plutôt que de s'orienter vers des ballades au piano avec des textes ineptes comme le font la plupart des comédies musicales, Valfeu choisit d'être au plus proche du texte, utilisant des répliques du livre en guise de paroles. Cet apprenti sorcier est sans nul doute un admirateur des mots de Goethe et de Nerval, son traducteur qu'il fait résonner de sa voix douce et grave (mais curieusement un peu juste comme sur 'Mephisto').
Pour autant, l'album possède les défauts de ses qualités. L'histoire de Faust est connue de tous mais aurait gagnée à être scénarisée, les paroles sont des extraits du livre parfois assez insignifiants pour l'action (se réduisant souvent à des injonctions à des personnages mythiques comme Demeter ou Charon). Par ailleurs, les différents personnages qui interviennent ont un rôle assez réduit. Si Valfeu s'approprie légitimement le devant de la scène, on peut regretter que Desireless (qui joue Dieu) doive se contenter de quelques mots chuchotés (quasi inaudibles) ou que Sue Denim (de Roboots In Disguise) au délicieux accent français à couper au couteau se contente de faire la météo (elle répète ad nauseam qu'il fait nuit sur 'Oberon' et amorce des chœurs énergiques sur 'Gretchen'). Quant à Méphistophélès, sa voix monstrueuse surprend sur 'Oberon' mais a tout du gadget sur la suite ('Mephisto') et s'avère plus grotesque que terrifiante (ce qui n´est pas un véritable défaut, en soi).
Beau projet que celui de Valfeu de réécrire le chef-d'œuvre de Goethe à la sauce électro. Les ambiances sont mystérieuses, l'interprète possède une voix magnétique, la guitare électrique n'est nullement absente. Pourtant, on aurait souhaité un peu plus de folie et un projet plus collectif au niveau du chant. En tout cas, ''Faust'' étant divisé en deux volumes, on peut espérer un nouveau volet qui corrigera les quelques défauts énoncés au-dessus, à moins qu'avec son visage juvénile, Valfeu ne s'intéresse à un autre jeune homme qui a pactisé avec les forces invisibles : Dorian Gray.