Au regard de ces dernières années, le deuil pourrait s´apparenter à un fort argument commercial. Passé cette première accroche un tant soit peu provocante ou morbide, on se souvient de l'infâme ''See You Again'' dédié à Paul Walker, du premier album solo de Mike Shinoda qui ravive la mémoire de Chester Bennington ou encore plus près de nous, de Good Charlotte. Le groupe italien Cayne semble s´inscrire dans cette suite morbide, bien malgré lui. A l´origine, mené par ses deux guitaristes, Claudio Leo et Raffaele Zagaria, tous les deux ex-membres du heavy metal Lacuna Coil, le groupe avait enregistré deux albums en douze ans. Malheureusement après l´enregistrement du second en 2013, Claudio Leo a tiré définitivement sa révérence.
L´auditeur qui pénètre dans cette cathédrale de la douleur n´aura guère le loisir de s´attendre à de longs moments d'introspection, où les réflexions métaphysiques et existentielles s´illustrent sur des compositions pesantes et légèrement tourmentées, à l´écoute de l´introduction de ´No Answers From The Sky´. L´énergie metal et volcanique des guitares nous plonge au plus profond de la plaie et balaie tout sur son passage. ´Torn Apart´ s´abat comme un maelström d´énergie pure dans les oreilles de l´auditeur, ralentissant de manière perverse le tempo, comme pour lui montrer que toute échappatoire est vaine. Les guitares de ´Free At Last´ agissent comme des rouleaux compresseurs, écrasant sans pitié les derniers espoirs, tout comme ´The Crossroad´ qui clôt l´album à la façon d´une marche funèbre musclée.
Cependant, si "Beyond The Scars" cherche à plonger le couteau au plus profond de la plaie, l´album ne se complaît pas dans une attitude glauque et dérangeante. A la façon d'un Ghost, Cayne mise sur les mélodies imparables et si les riffs ne se démarquent pas par une complexité alambiquée, ils accusent toutefois une efficacité directe qui pénètre au cœur de l´auditeur. ´A New Day In The Sun´ réussit une synthèse entre neo-metal, ballade romantique et electro. ´Blessed By The Night´ conjugue l´urgence avec un refrain imparable, un solo de guitare schizoïde et un riff de claviers qui rappelle avec truculence celui de ´Supernature´ de Cerrone. La voix du chanteur s'habille parfois de morgue comme pour mieux porter le linceul (sur ´Torn Apart´ où elle s´approche parfois de growl), mais elle vise à une plus grande clarté, à la compassion sans chercher à se draper d´artifices ou de pathos. Les Italiens introduisent un de leurs instruments fétiches, le violon qui supplante parfois le piano et les claviers (´The Asylum Of Broken Hope´, ´Slave´, ´Free At Last´ où ils prouvent que le violon est bien un instrument de metal), ce qui apporte quelques contrepoints chaleureux comme pour équilibrer ce voyage au cœur des ténèbres. L´auditeur cherchera l´apaisement auprès du rivage d´un ´One More Chance´, avec un refrain aussi émouvant qu´inattendu, comme si le groupe marqué par sa perte trouvait dans son chagrin une poussée émotive capable de lui permettre de reprendre contact avec la réalité et d´accepter son sort.
On pourrait toutefois reprocher à quelques pistes de manquer de relief et d´alourdir un ensemble qui aurait gagné à ne pas s´espacer en longueur comme ´Bad Blood´ ou ´Celebration Of The Wicked´ qui placées dans un ordre différent auraient pu éveiller un intérêt mais qui s´apparentent trop à leurs consœurs (ceci dit, elles occupent une place légitime dans le concept). Certes, l´album est captivant mais une certaine redondance l'empêche d'en faire un chef-d´œuvre, le groupe ne se mettant guère en danger. En outre, la politique punk choisie est tout à leur honneur mais la mise en avant de la voix au profit des guitares pourrait donner la jaunisse à nos metalleux rougeauds.
"Beyond The Scars" est un album hanté par le spectre de Claudio Leo, mais plutôt que de surfer sur un esprit morbide malvenu, Cayne parvient à maîtriser les étapes qui conduisent du puissant chagrin à l´acceptation. Avec cet album, Cayne réussit son pari de nous apaiser après la traversée de cette forêt sauvage, horrible et fort dangereuse. Toutefois, le groupe reste paradoxalement dans sa zone de confort et aurait dû oser se mettre un peu plus en danger.