Tout à le monde ou presque a entendu parler de Spinal Tap. Tout part du docu-fiction de Rob Reiner "This Is Spinal Tap" sorti en 1984 racontant les aventures d’un groupe de hard rock créé pour l’occasion nommé Spinal Tap. Dans cette histoire, la fiction et la réalité se confondent car les acteurs de ce film-documentaire parodique sont aussi musiciens et ce sont eux qui composent et interprètent l’ensemble des morceaux joués dans le film. La bande-son du film sort en 1984 et le groupe Spinal Tap refera parler de lui dans deux autres disques en 1992 et 2009. Presque dix ans après leur dernier méfait c’est le bassiste de Spinal Tap Derek Albion Smalls qui reprend le flambeau avec son premier album solo intitulé "Smalls Change – Meditations Upon Ageing".
En groupe comme en solo, Derek Smalls officie dans le parodique et le burlesque en abordant sous un angle comique tous les petits désagréments liés à la vieillesse : difficultés érectiles, rareté capillaire, insuffisance osseuse, défaillances dentaires… Ce burlesque passe par les voix souvent maniérées de Smalls ('When Men Did Rock') parfois plus parlées que chantées à la manière d'un Zappa (‘Openture’ et sa définition de l’âge dans un syllogisme absurde, 'Smalls Change', 'MRI') et les musiques aux contrastes tranchants qui mettent en contact la symphonie la plus classique avec les sons les plus loufoques faits de claviers ou de bruitages saugrenus (le portable qui vibre dans 'Butt Call').
Avec "Smalls Change", l'auditeur passe par toutes les émotions contradictoires et tous les jugements possibles sur le sérieux du matériau quand par exemple Derek convie la gent féminine à exprimer toutes sortes d'excès dans la ballade émouvante 'Smalls Change', où Derek se la joue crooner sur une très belle symphonie avant qu'une Castafiore casquée ne vienne accompagner le refrain, ou dans le sombre et mélodique 'She Puts The Bitch In Obituary' dérangé par une commentatrice hystérique. L'effet qui consiste à passer du génial au ridicule en quelques instants est voulu et entretenu par Derek Smalls. Il se plaît à déconstruire ses compositions en rendant leur final parfois inaudible (‘MRI’ ou ‘When Men Did Rock’) mais sait faire preuve d’une touchante sensibilité via la présence importante du Hungarian Studio Orchestra sur la moitié de l’album (le bel interlude mélancolique ‘Complete Faith’ ou le sombre ‘Hell Toupee’).
Tout n’est pas du registre du délire et Derek montre un vrai talent de compositeur dans les très beaux moments de variété américaine que sont l’ambitieux ‘Faith No More’ et le jazzy ‘Gimme Some (More) Money’ ou dans ‘Memo To Willie’ (‘Note A Ma Quequette’), un titre zappaien à l’effet big band renforcé par une généreuse section de cuivres. Derek place quelques titres bien rock qui font la part belle aux claviers rétro et aux guitares puissantes comme dans le heavy 'Rock 'N' Roll Transplant' et son Hammond, le rock 'Butt Call' au refrain entêtant ou 'It Don't Get Old' dont le riff aurait pu être écrit par Cream.
On trouve de tout dans cet album très varié, enthousiasmant à de nombreuses occasions et à la limite de l’agacement parfois, selon les humeurs de chacun. Là où "Smalls Change" fait consensus, c’est dans l’approche originale, authentiquement passionnée et généreuse de son créateur. Preuve en est la liste impressionnante d'invités prestigieux qui, comme dans l'album de 1992, ont accepté de suivre l'Américain dans ses gentils délires. On ne s’ennuie pas une seconde avec cet album détonnant et étonnant qui ravira les amateurs nostalgiques du burlesque de Spinal Tap et qui fera découvrir aux autres l’existence d’un musicien atypique ayant participé à une aventure marquante de l’histoire du rock américain.