"C'est dans les vieux pots qu'on fait les bonnes soupes". Si cette expression populaire et un rien triviale est quelque peu tombée en désuétude (qui se soucie encore de faire de bonnes soupes dans de vieilles gamelles ?), elle reste néanmoins d'actualité quand on l'applique aux groupes de rock. Après les excellents "InFinite" (Deep Purple) et "Trivium" (Procol Harum) de l'année dernière, et le plus récent live "The Beauty of Chaos" de Martin Turner (ex-Wishbone Ash comme il n'oublie pas de le rappeler) de cette année, c'est au tour d'une légende du hard rock, Uriah Heep, de se rappeler à notre bon souvenir. C'est sûr, les papys font de la résistance !
Uriah Heep, c'est un hard rock resté ancré dans les seventies, pas un hard rock simpliste couplet-refrain-solo où chaque musicien pense que plus il jouera vite et fort, plus il jouera bien. Sans que sa musique soit trop complexe, Uriah Heep a toujours su faire la différence par quelques digressions inattendues et néanmoins espérées par ses fans, par ses rugissements de claviers caractéristiques et par ses chœurs. Des marqueurs que l'on retrouve bien sûr sur "Living the Dream".
L'album commence par le survitaminé 'Grazed by Heaven' doté d'une rythmique qui roule des mécaniques, d'une belle envolée de guitare et d'un chant agressif. Du hard rock qui déménage mais doté d'une mélodie accrocheuse et d'une présence indéniable. Les trois titres qui suivent restent dans une tonalité heavy et, si les mini-cassures ou variations de thème rendent 'Living the Dream' et 'Take Away my Soul' sympathiques, l'ennui commence à poindre son nez sur le linéaire 'Knocking at my Door'.
Et c'est là qu'on distingue les grands groupes du commun des mortels. Uriah Heep a l'intelligence de changer de braquet après ce démarrage pêchu : les trois titres qui viennent vont alterner le chaud et le froid en jouant sur les intensités et la vitesse, ralentissant sérieusement le tempo, insérant des passages acoustiques, des duos piano/voix ou orgue/voix, des sonorités de grandes orgues ou d'orchestre de cordes... Tout en restant dans le domaine du hard rock, les mélodies flirtent avec le progressif (le long instrumental de 'Rocks on the Road') ou la pop (les "nananana" de 'Waters Flowin' '), introduisant une diversité aussi convaincante que bienvenue. Si 'Goodbye to Innocence' et 'Falling Under Your Spell' renouent avec un hard rock plus direct et néanmoins séduisant, 'Dreams Of Yesteryear' représente le final idéal avec sa mélodie presque hymnique qui se meurt en fading out (pour une fois justifié) avec un côté "on est tous frères".
Mick Box a 71 ans ? Phil Lanzon 68 ? Bernie Shaw, le jeunot, 62 ? A entendre avec quelle fougue et quel enthousiasme ils jouent sur cet album, on leur accorderait volontiers une petite trentaine. Preuve s'il en était besoin que la musique permet de rester éternellement jeune.