Moins d'un an après son premier album, Caravan revient avec un nouveau disque au titre improbable, "If I Could Do It All Over Again, I'd Do It All Over You", prouvant si cela était encore nécessaire l'esprit facétieux et pour le moins espiègle des membres du groupe. Entre ce nouvel opus et le précédent, Caravan a été contraint de changer de label, Verve ayant cessé ses activités sur le sol britannique. Heureusement, il signe rapidement chez Deram et peut se consacrer à l'enregistrement de son prochain disque.
Si "Caravan" séduisait par ses jolies chansons pop, "If I Could" s'avère bien plus ambitieux et définit le style qui va caractériser Caravan pour les années à venir. Au programme, huit titres aux durées fort variées allant du court 'Asforteri 25' de 1'21 à la longue suite de plus de 14 minutes ultérieurement connue sous le nom raccourci de 'For Richard'. Aux styles fort variés également : si trois titres adoptent encore le format de chansons pop ('If I Could', 'As I Feel I Die' et 'Hello Hello'), les deux très courts 'Asforteri 25' et 'Limits' prennent la forme de délicates respirations. Mais c'est sur les trois longues suites de l'album que l'intérêt de l'amateur de rock progressif va tout naturellement se porter.
Des suites qui annoncent la couleur par leurs titres, constitués de la juxtaposition des noms donnés aux différentes sections qui les composent. Ainsi 'And I Wish I Were Stoned / Don't Worry' comprend deux mouvements là où 'With an Ear to the Ground / You Can Make It / Martinian / Only Cox / Reprise' en a cinq et 'Can't Be Long Now / Françoise / For Richard / Warlock' quatre. Simple mais peu propice à la mémorisation de ces titres à rallonge.
Autre inconvénient, plus musical celui-là, ce découpage peut laisser craindre un collage un peu artificiel de différents thèmes pour constituer un morceau long mais décousu. Et c'est effectivement le cas de 'And I Wish I Were Stoned / Don't Worry' qui ne fait même pas l'effort d'une transition entre deux parties certes agréables mais sans point commun. Les deux autres suites évitent cet écueil par des transitions ou oppositions plus soignées et parce qu'elles font la part belle aux échappées instrumentales et aux longues improvisations dont le caractère est moins tranché que des parties chantées.
Si la prise de son est encore assez étouffée, elle est cependant de bien meilleure qualité que sur l'album précédent. La qualité des mélodies est quant à elle assez exceptionnelle, que ce soit les compositions pop d'Hastings ou les suites progressives de David Sinclair : fluidité des thèmes, arrangements délicats, fraîcheur, mariage des voix qui n’ont pourtant rien d’exceptionnel mais dont la combinaison est du plus bel effet, bel équilibre entre parties chantées et instrumentales, trouvailles audacieuses, le tout enveloppé dans une décontraction teintée de mélancolie. Si l'orgue Hammond est omniprésent, éclaboussant l'album de ses accords saturés et de ses solos échevelés, la basse de Richard Sinclair groove délicieusement. Quant à Jimmy Hastings, le frère de Pye, cinquième mousquetaire qui ne fera jamais officiellement partie du groupe, il enlumine l'album de ses nombreuses improvisations de flûte et de saxophone, aussi aériennes qu'inspirées.
Avec "If I Could Do It All Over Again, I'd Do It All Over You", Caravan trouve un style qu'il invente, celui de l'école de Canterbury, qu'il partage avec son turbulent cousin Soft Machine, à la fois léger et mélancolique, décontracté et profond. Un classique devenu incontournable.