A la fin des années 70, les Stranglers ont compris que le phénomène punk était voué à l'autophagie. Les principaux ingrédients de leur musique - claviers et orgues, basse ronflante, jeu de batterie jazzy, ambiances bluesy - les isolaient des nouveaux anarchistes. Leur troisième album ''Black And White'' est un nouveau départ. A l'origine, il devait être divisé en une face blanche et en une noire, à la manière de Queen sur Queen II, chacune étant chantée par un interprète différent. En raison de problèmes de planning, cette idée a été abandonnée mais ne sera pas sans conséquences : Hugh Cornwell se retrouve ainsi propulsé derrière le micro comme chanteur principal (mais pas unique).
Après deux albums enregistrés à la chaîne, les quatre étrangleurs ne se sont pas lassés. Alors que la pochette illustre ce contraste de couleurs avec un peu de
fantaisie (où est passée la tête d'Hugh Cornwell ?), l'album nous plonge
plutôt dans une eau noire. Le son est plus brut, ténébreux et froid. Jet Black fait partie
d'une infanterie jazz martiale ('Tank') voire élastique ('Threatened').
Dave Greenfield remise son orgue pour nous dévoiler une panoplie
de synthétiseurs. Beaucoup plus aguerri à la guitare, Hugh
Cornwell nous crache au visage ses mots acidulés avec la grâce d'un
vampire ('In The Shadows'), articulant jusqu'à l'extrême ('Nice 'N'
Sleazy'), se montrant
aussi taquin ('Sweden' qui relate ses souvenirs ennuyeux d'études à Lund, son
chant joyeux sur 'Hey (Rise Of The Robot')). Toujours aussi percutant à la basse, Jean-Jacques Burnel expose son organe
vocal rocailleux, saluant l'un de ses héros, Yukio
Mishima, sur 'Death And Night And Blood'.
L'esprit aventureux est toujours de mise et les hommes en noir développent leur musique étrange qui ne veut pas s’assujettir à un style. Si 'Tank' possède encore des stigmates punk, 'Tailor In The Sea' trouve un nouvel envol grâce au jeu mélodique à la Shadows d'Hugh Cornwell à la guitare. 'Curfew', qui relate un scénario catastrophe où l'Europe s'effondre, enchaîne les changements de signatures. Les larsens de basse et les claviers psychédéliques inquiétants d''In The Shadows' nous recouvrent d'un nuage noir. 'Nice In Sleazy' boxe dans une catégorie étrange : un reggae funk avec un duel de guitare et de basse qui déclenche un solo orgasmique de claviers. Un invité surprise se fait entendre sur 'Hey (Rise Of The Robot)' : le saxophone ! La valse tranquille 'Somewhere Outside Tokyo' devait nous offrir un peu
de répit mais le chant exagérément lent et les paroles nébuleuses sur le
temps intriguent. Sur la réédition de l'album, privilégiez la version inspirée par The Doors de 'Walk On By' de Dionne Warwick.
Le troisième album des Stranglers ''Black And White'' est un grand saut vers un inconnu sombre et froid. Le groupe anglais poursuit son aventure rythmique sans se soucier des derniers balbutiements du punk. Pour l'anecdote, le message en morse d' 'Enough Time' signifie ''Mother Earth we are fucked !''.