Mike Shinoda... Ce nom fait office de madeleine de Proust pour les auditeurs qui ont passé les meilleurs moments de leur jeunesse dans les années 90 avec Linkin Park. Ayant recueilli un succès interplanétaire dès son premier album, le groupe avait cependant essuyé les plâtres, l´assemblage des influences apparaissant plus hasardeuses que construites. Les albums se sont empilés les uns sur les autres sans retrouver l´énergie et la surprise des origines, déstabilisant les fans par une approche plus frontale de la pop (voire pire : une propension à sortir des albums de remix). Après le suicide de son chanteur hurleur Chester Bennington, Mike Shinoda s'est mis à écrire avec frénésie, afin de surmonter son incompréhension et sa douleur, sans penser automatiquement à accoucher d'un premier album solo.
L'univers "Post Traumatic" dans lequel nous invite Mike Shinoda est un royaume de bruits et de fureurs. Porté par de puissantes vagues hip-hop, l'auditeur est aspiré dans un maelström. 'Watching As I Fall' explose avec ses refrains heurtés mais toutefois enchanteurs sur lesquels les claviers se livrent au final à une orgie sonore. Plus subtil, 'Nothing Makes Sense Anymore' laisse passer les boucles hypnotiques pour atteindre un idéal quasi symphonique. Le jardin embrumé de l'instrumental 'Brooding' nous permet de respirer avant de passer la cinquième vitesse, les boucles de claviers soutenues par le martèlement des beats nous dessinent mille scénarios cinématographiques. Les stridences des claviers mêlées au piano accueillent 'Crossing A Line' avant de laisser la parole aux guitares et à un chant convaincant. Ce morceau est le plus commercial et aussi le plus réussi, sur lequel des nymphettes risquent de bientôt se déhancher en toute innocence. Car Mike Shinoda, et c'est une qualité, ne tient pas à vouloir sonner old school voire à plomber l'auditeur et s'ouvre à la musique contemporaine (nous verrons plus loin le revers de la médaille) en créant des ponts entre pop et hip-hop.
A l´origine, Mike Shinoda officiait comme le principal chanteur de Linkin Park ("Hybrid Theory"). Dès les premières mesures, nous subissons une piqûre de rappel et l´auditeur peut apprécier sa voix plus pop ('Place To Start' même si le chant est parfois heurté ou 'Ghosts'). Mais bien entendu, l´image du rappeur fou au flow légèrement ralenti reprend du galon ('Over Again' avec ses rythmiques hip-hop, 'IOU' et ses rythmiques glaçantes ou l'agressif 'About You' en duo avec Blackbear). Les paroles sombres et existentialistes ne laissent planer aucun doute sur l'influence du nœud coulant qui a fermé la dernière page du livre de vie de son collègue, sans pour autant se focaliser sur lui.
Malheureusement, l'album s'écroule sous sa durée. La faute en est à un manque de variété et une formule usée sans la moindre parcimonie sur la seconde moitié. Certaines chansons font certes doublon mais en outre, elles ne se distinguent en rien du tout venant : 'Hold It Together', 'Make It Up As I Go' et le chant indigent et syncopé de l'invité K.Flay qui nous fait oublier les belles percussions tribales ou encore 'Lift Off' avec son ami Chino Moreno (Deftones) qui aurait pu être un anonyme. Si les paroles sont marquées par des thèmes ténébreux, elles sont trahies par une écriture superficielle ('Promises I Can't Keep'). Le mariage pop et hip-hop apparaît un peu forcé, les deux ingrédients évoluant dans deux mondes séparés : couplets et refrains. On pourrait regretter les timides esquisses de metal indus sur l'introduction de 'Worlds On Fire', qui s'étouffent sous la guimauve des refrains.
Entre hip-hop et pop, "Post Traumatic" manque d'une identité sonore forte qui nous confirme que le collage des références n'a rien d'anarchique. A vouloir courir entre deux taureaux, Mike Shinoda finit encorné. La longue durée de l'album nage à contre-courant des albums de Linkin Park qui se distinguaient par leur brièveté. Paradoxalement, Mike Shinoda sonne résolument contemporain, refusant de surfer sur le succès passé de son ancien groupe, tout comme il refuse de plomber l'auditeur avec la mort de son ami. C'est résolument l'album d'un artiste qui a eu envie de se livrer en toute honnêteté sans le carcan de douleur et d'intimité.