Dans les années 70, l'Angleterre, à l'image du monde, est à un tournant sociétal. En cette période de crise économique, de chômage, de méfiance à l'égard des gouvernements, l’hégémonie contestataire peace and love hippie née dans les années 60 se voit morceler par un mouvement plus radical dans sa façon de penser et d'agir : le punk. Il s'accompagne d'un esthétisme travaillé, dur, énergique, véhiculant son anarchisme et son idéologie 'no future' où il s'agit de brûler la vie avant qu'elle ne vous brûle, elle qui par définition n'apporte rien et dont on n'a rien à attendre, surtout pas des autres. Et la musique dans tout ça a suivi avec l'émergence de groupes tels que les Sex Pistols, les Ramones, les Clash.
Plus de quarante ans plus tard, que reste-t-il de cette idéologie ? A une période où les nationalismes refont surface, où la précarité semble s'installer en raison des effets de la crise économique relativement récente, le Brexit, le mouvement punk a encore de beaux restes devant lui et conserve toute sa légitimité. Quelques héritiers continuent à véhiculer ses messages antiracistes, anarchistes, de la défense des ouvriers. New Model Army est encore là, Good Charlotte, Yellowcard, Simple Plan ont émergés depuis en modernisant le style.
Parmi eux se distingue le duo Laurie Vincent (guitare, basse et chant) et Issac Holman (batterie et chant) qui forment Slaves, qui rencontre un très beau succès outre-Manche depuis leur premier album "Are You Satisfied ?" sorti en 2015. Très fécond, leur second album "Take Control" (2016) marque une collaboration avec Mike D des Beastie Boys et se classe sixième des charts anglais. A peine deux ans plus tard, les Britanniques réalisent leur troisième album "Acts of Fear and Love" à la pochette gentiment subversive.
D'emblée, l'auditeur pourra constater que le son proposé par Slaves semble revenir aux fondamentaux du style, un punk presque minimaliste où la guitare incisive et la batterie martiale se taillent la part du lion. Le mixage sonne presque live. Les titres ont pour eux également l'efficacité du punk rock en étant directs et courts, permettant de transmettre une énergie constante comme s'il fallait vivre vite et fort. Mais Slaves n'est pas qu'un simple ersatz des Sex Pistols et sait surprendre.
A partir de 'Daddy', l'album prend une nouvelle tournure, plus alambiquée, plus moderne, plus conceptuelle. Ce court titre assez touchant et délicat (oui un punk sait parfois l'être), construit sur une base guitare-voix est une sorte de transition acoustique qui permet de respirer après un départ tonitruant. 'Chokehold' qui prend la suite est bâti sur un riff toujours aussi hypnotique avec un léger aspect pop anglaise tout à fait charmant qui rappelle un peu Oasis. Puis vient 'Photo Opportunity' qui est le titre le plus surprenant et intéressant de l'album avec ses couplets quasi folk acoustique et son refrain électrique qui apporte ce contraste entre légèreté et lourdeur, pouvant le transformer en un hymne prolétaire. L'album se clôt de la plus belle des manières avec le morceau éponyme de cinq minutes, bourré de feeling, de variations, de slam, de chant rugueux, de breaks tel qu'on pourrait le qualifier de punk prog (et oui !), sublime et audacieux.
Slaves maintient avec "Acts of Fear and Love" la flamme d'une idéologie punk qui a encore tout son mot à dire dans une société dont l'histoire se répète. Entre énergie, subtilité et risque, le duo sort à ce jour son meilleur album.