En cette année 1993, Warren Haynes s’est déjà taillé une belle réputation dans le milieu en participant à de nombreux albums d’artistes déjà établis (Garth Brooks, Dickey Betts Band, Gregg Allman Band, etc…), mais en étant également membre du Derek Trucks Band et surtout du Allman Brothers Band depuis trois opus ayant marqué la résurrection de la légende de Macon (Géorgie). Au sein de ces formations, il a pu fréquenter le batteur Matt Abts et le bassiste Allen Woody, mais ceci est une autre histoire qui prendra le nom de Gov’t Mule deux ans plus tard. En attendant, le guitariste-chanteur décide de se lancer dans l’aventure du premier album en solo pour lequel il s’entoure de quelques pointures telles que Chuck Leavell (The Rolling Stones, The Allman Brothers Band, etc…) à la production et aux claviers, Johnny Neel (Derek Trucks Band, The Allman Brothers Band, Johnny Neel Band…) aux claviers également, Michael Rhodes à la basse, et bien d’autres.
Avec une telle brochette de talents, difficile de craindre une sortie de route. La qualité a de fortes chances d’être au rendez-vous et le style abordé ne fait guère de doutes. En revanche, Warren Haynes a rarement eu l’occasion de prendre le chant à sa charge et il va le faire ici avec brio, offrant quelques superbes performances fortes en émotions (‘I’ll Be The One’, ‘Angel City’). Les soli sont toujours aussi lumineux (‘Blue Radio’, ‘Broken Promised Land’) et l’interaction de la guitare avec les claviers est aussi une des marques de fabrique de ce "Tales Of Ordinary Madness" (‘Sister Justice’, ‘Angel City’). Il faut également noter l’intervention rutilante du saxophone de Randall Bramblett sur le puissant et groovy ‘Power And The Glory’ traitant de la corruption provoquée par la richesse.
Les thèmes abordés sur certains titres prouvent la profondeur de la réflexion d’un artiste qui ne se cantonne pas aux classiques histoires d’amour déçues. Ainsi, l’introductif et syncopé ‘Fire In The Kitchen’ traite de la violence dans les quartiers défavorisés, alors que ‘Invisible’ aborde le sujet des sans-abris sur fond de jam aux accents jazzy provoqués par un jeu de percussions qui n’est pas sans rappeler le Allman Brothers Band. A noter également le coléreux ‘Sister Justice’ aux saillies de guitare presque hard rock à certains moments, et l’émouvante ballade ‘Broken Promised Land’ à la forte puissance évocatrice et sur laquelle plane l’ombre de Bruce Springsteen. Alternant les refrains accrocheurs, les jams instrumentales passionnantes et les soli lumineux, chaque titre se révèle de plus en plus addictif après chaque écoute. Warren Haynes mélange ici des influences allant du jazz au hard rock en passant par le blues, la soul, le gospel et le rock sudiste, mais sans jamais cloner la recette chère au Allman Brothers Band. Il réussit à doser tous les éléments de manière personnelle et envoûtante.
Dès son premier opus, le natif d’Ashville, Caroline du Nord, marque le paysage du blues-rock d’une empreinte aussi imposante que personnelle. "Tales Of Ordinary Madness" se révélera au final comme le maillon entre le Allman Brothers Band et Gov’t Mule, et il faudra attendre 18 ans pour que son auteur lui donne un successeur en solo. Il est donc indispensable de se procurer cet album incontournable pour tout amateur de ce blues-rock à la profondeur émotionnelle aussi grande que son ouverture d’esprit. Encore un voyage qui laisse des traces indélébiles à ceux qui prennent le temps de le parcourir.