La presse musicale est fascinante. Quarante-trois ans après son renfort dans les Rolling Stones, Ronnie Wood est toujours considéré comme le petit nouveau. De même, Paul McCartney reste l'éternel ex-Beatles, comme si la suite de sa carrière était écrite à l'encre sympathique. Ce serait oublier les succès de ses duos avec Michael Jackson, de son groupe The Wings ou encore de ses expérimentations sonores avec Youth (le bassiste de Killing Joke) dans The Fireman. Peu avant l'enregistrement de ce nouvel opus, notre bassiste avait fait le choix de travailler en étroite collaboration avec Greg Kurstin. Décision curieuse voire opportuniste : Greg Kurstin n'est autre que l'auteur des chansons et producteur des albums de nos divas Sia ('Chandelier'), Adele ('Hello') ou encore Katy Perry ou Shakira. Rappelons toutefois que que le bonhomme a également travaillé avec Foo Fighters et Liam Gallagher. Pas de mauvais casting ici ni de tactique commerciale. Pour son 17ème album solo au titre respirant l'exotisme, l'auteur de ''Yesterday'' s'est peint lui-même sur la pochette, en attente d'un train, avec son fidèle bélier. Etes-vous prêts à embarquer?
''Egypt Sation'' a été pensé par son auteur comme un concept-album, chaque chanson représente un arrêt sur une ligne de 16 titres. Le voyage démarre par un instrumental envoûtant qui laisse le voyageur s'installer sur une banquette en toute quiétude. Pour commenter ce voyage, la voix pure de Paul McCartney a traversé l'épreuve du temps sans aucun dégât comme si elle resplendissait encore de toute sa jeunesse. Une variété de paysages sonores va défiler dans ces deux hémisphères : mélancolique ('I Don't Know', 'Happy With You', la flûte sur 'Hand In Hand'), atmosphériques et planants (le très brésilien 'Back In Brazil') voire inattendus. Alors qu'on a toujours accusé Paul McCartney de composer des chansons exsangues, les vampires vont se réjouir : une vraie pulsation rythmique et mélodique est le dénominateur commun de ces morceaux. Chercheur de perles pop, Paul McCartney n'a pas renoncé à parcourir les mesures par monts et par vaux pour dénicher des trésors comme l'entraînante 'Come On To Me', que les archéologues de la période rock de notre humanité redécouvriront dans des siècles ou encore la ballade étincelante 'Confidante'.
Au gré de son humeur, le gaucher appuie sur le bouton d'une machine à remonter le temps. 'Who Cares' et 'Caesar Rock' (sur laquelle Paul McCartney pousse sur sa voix comme sur 'Lady Madonna' ou 'Helter Skelter') 'People Want Peace' (dont les sonorités très beatlesiennes ont inspiré Tears For Fears) ou encore l'usage des cuivres et du clavecin sur 'Do It Now' auraient pu faire partie du répertoire des Fab Four. Respectant une tradition énoncée dans 'Band On The Run', certaines chansons se font fleuves bouillonnants pour s'échapper de leurs lits rythmiques et gagner de nouveaux horizons sonores, comme la très remuante 'Despite Repeated Things' et surtout 'Hunt You Down', patchwork génial de toutes les influences de son auteur. On pourrait toutefois tiquer à l'écoute de 'Fuh You' qui contient tous les tics contemporains : claviers bizarres, reverb sur les voix, freinage a cappella avant le refrain, refrain qui explose et cris qui réclament l'adhésion du public à l'unisson. Mais la différence avec les Justin Bieber, Bastille (ou les errances de Coldplay), c'est que Paul McCartney y a apposé un sceau de sincérité : même si ce morceau peut dépasser le cadre du pastiche jusqu'à devenir un tube des dancefloors, le succès ne serait que peu immérité. Le seul petit bémol d' "Egypt Station" serait la longueur de l'album, mais à nouveau, qui refuserait d'être pris en main par Paul McCartney pour une éternité d'un peu moins d'une heure ?
''Egypt Station'' n'est pas le chemin de croix de Paul McCartney. Accompagné par le célèbre bassiste dans un voyage personnalisé, bras dessus, bras dessous, l'auditeur est emporté par un tourbillon mélancolique, rafraîchissant et surtout intemporel. Très bien équilibré entre énergie, contemplation et excentricité, l'album de Paul McCartney s'est classé pour la première fois à la place jalousée de tous au Billboard américain. Comme quoi à 76 ans, on a encore le droit à des toutes premières fois.