Avec son flegme et sa désinvolture légendaires, Billy Gibbons nous avait sorti un premier album solo s’aventurant sur des terres latino-américaines, ce qui avait un peu désorienté une partie de son auditoire ("Perfectamundo" – 2015). Trois ans plus tard, le voici de retour vers des territoires plus traditionnels pour rendre hommage à la musique qui l’a biberonné depuis des décennies et qui représente les principales influences de sa légendaire formation (ZZ Top pour ceux qui ne seraient pas au courant). Le titre de ce nouvel opus ne tourne pas autour du pot et ne cherche pas à tromper son monde, et étant donné l’expérience du bonhomme, il faut bien reconnaître que nous n’attendions ni surprise ni déception avant de poser notre organe auditif sur les 11 titres de ce "The Big Bad Blues".
Avec sept compositions originales et quatre reprises de Muddy Waters et Bo Didley (deux chacun), la tracklist de ce nouvel opus couvre avec talent les différentes faces d’un blues traditionnel et intemporel, le tout marqué au fer rouge de l’identité incontournable de son interprète. Inspiré par une illustration de sa compagne, ‘Missin’ Yo’ Kissin’ ’ ouvre les hostilités avec un riff qui rappellera ‘La Grange’ ou ‘My Head’s In Mississippi’. Mais à ce manque d’originalité viennent se greffer un refrain hyper accrocheur et les interventions brûlantes de l’harmonica de James Harman qui rendent l’ensemble finalement irrésistible. Car c’est là que réside la force tranquille de cet opus qui laisse l’auditeur béat de plaisir alors que tout cela a déjà été entendu de nombreuses fois. Avec son talent d’interprétation hors normes et sa patte reconnaissable parmi toutes, Billy Gibbons réussit à distiller un plaisir addictif et irrationnel.
Du blues-rock old school d’un ‘My Baby She Rocks’ au refrain obsédant, à la version survitaminée du ‘Rollin’ And Tumblin’ ’ de Muddy Waters, en passant par le groove de ‘Let The Left Hand Knows’, le heavy-blues sentant la bière et la transpiration de ‘That’s What She Said’ ou ‘Mo’ Slower Blues’, toutes les ambiances sont abordées et plantent leurs accroches dans nos neurones pour déclencher des spasmes bienfaisants. Les soli sont toujours aussi lumineux et se voient renforcés par l’harmonica complice et rutilant avec lequel ils partagent quelques duels incendiaires. Même la ballade ‘Standing Around Crying’ (cover de Muddy Waters) au format pourtant hyper classique devient incontournable par le feeling qu’elle dégage. A noter également la reprise du ‘Bring It To Jerome’ de Bo Didley propulsée par une basse massive et à l’énergie emportant tout sur son passage.
Alors qu’il aurait pu paraître aisé de s’attrister d’une éventuelle absence de prise de risque et d’un manque d’originalité évident, c’est finalement le plaisir et l’admiration qui l’emportent à l’écoute de ce "The Big Bad Blues" qui se révèle comme une véritable démonstration de la part de son géniteur. La personnalité de Billy Gibbons est tellement marquée et légendaire qu’il peut presque se permettre n’importe quoi dans le domaine du blues-rock, transformant tout ce qu’il touche en un or éblouissant et envoûtant. Voilà ce qu’on appelle une légende à l’œuvre. Ne passez pas à côté de cette démonstration pour peu que vous soyez amateur du genre.