Depuis la sortie d’ "Affinity", les Anglais d’Haken ont multiplié les activités. En premier lieu la participation à la tournée montée par Mike Portnoy intitulée Shattered Fortress pour jouer des anciens titres de Dream Theater, qui a permis au groupe d’ouvrir son champ d’action et de convertir de nouveaux adeptes. A suivi la sortie il y a quelques mois de "L-1VE" le premier DVD de concert du groupe pour parachever une décennie au sommet du metal progressif mondial. C’est pendant la tournée avec Mike Portnoy que les premières ébauches pour un futur album ont été écrites. Quelques mois plus tard les Londoniens nous présentent leur cinquième album "Vector".
Après avoir fait la magistrale démonstration par trois fois de sa grande maîtrise du metal progressif épique et alambiqué, Haken a entrepris avec "Affinity" de ramasser son écriture dans des formats plus synthétiques. Démarche qui trouve en "Vector" un pas supplémentaire avec leur disque le plus court et un seul titre de plus de dix minutes. Cette volonté de concision se retrouve dans les qualités harmoniques et mélodiques des morceaux et leurs tournures d'efficacité. Exemple avec le direct 'The Good Doctor' qui fait penser à Muse et 'Puzzle Box', véritable assemblage de la signature d'Haken qui récapitule nombres d'éléments abordés dans les albums précédents comme les ambiances sombres de "Aquarius" ou les claviers et sonorités très 80's issues d'"Affinity". L'option qui consiste à abréger les développements se lit particulièrement dans ce dernier avec cette cassure brève aux deux tiers qui aurait pu être plus longuement étirée.
Après cette excellente mise en bouche, "Vector" passe au plat de résistance avec 'Veil'. Là encore Haken use de tous les artifices dont il est l'habile coutumier. Les riffs y sont mordants et puissants, les contrastes judicieux entre couplets calmes et refrains percutants, les parties instrumentales virtuoses et les soli gorgés de feeling. 'Veil' fourmille tellement d'idées qu’il va mettre en surchauffe nombre de synapses. Les plus remarquables sont la séquence dissonante jazz au mitan et la reprise de cassure à l'atmosphère étrange très Twin Peaks. L’impression de démence frénétique qui ressort du titre, dans les assemblages entre parties et les excès de contrastes, ne manquera pas d’appuyer le concept psychologisant de "Vector". Avec sa folie un peu exagérée et sa densité, ‘Veil’ est difficile d’accès mais se révèle au final comme une des réalisations les plus surprenantes du groupe. La dernière bouchée du mets se fait avec le bourratif 'Nil By Mouth', un instrumental typique très technique et parfaitement exécuté mais qui n'apporte rien de fondamental à l'album.
Haken a appliqué à la lettre la règle qui veut qu’un album court se doit de débuter et de s’achever sur des temps forts. Si "Affinity" gâtait son final en laissant une impression mitigée sur le reste du disque, "Vector" peaufine sa conclusion avec deux titres qui allient originalité et émotion. Dans cet accueillant ‘Host’ aux accents pop, les Anglais troquent les grosses saturations pour la chaleur des guitares acoustiques, la timidité de claviers tremblotants et les murmures de trompettes posant une ambiance à l’apaisante suavité. Ces subtilités rendent l’impression d’ascension finale encore plus vertigineuse de puissance. Différent dans son approche mais tout aussi réussi que son prédécesseur, l’intense ‘A Cell Divides’ clôt "Vector" par une plongée dans les profondeurs abyssales d’une conscience humaine bouillonnante sous forme d’une variation rythmique saccadée appuyée d’une tonalité très leprousienne à l’effet dévastateur.
Avec "Vector", son disque le plus sombre par la thématique qu’il explore et musicalement le plus dense et déchaîné, Haken poursuit une constante évolution initiée dès ses débuts. Album après album, Haken pose les jalons d’une redéfinition du metal progressif et par sa déjà monumentale discographie se place à l’avant-garde de cette révolution.